guma association

LES CEREMONIES DES JUMEAUX

par Albert Douffissa/ Avec la collaboration de Dawaï Haman et Troumba Dawaï (Zigi Gabla) et Bouba Téoké (Figuil).

Chez les Guidar, compte tenu de la rareté de leur naissance, les jumeaux sont considérés comme des êtres extraordinaires. En fait, autant ils font la joie dans les familles (c’est pourquoi, on souhaitera à une femme de la famille de faire des jumeaux), autant ils inspirent quelques inquiétudes, parce qu’on les affuble de pouvoirs plus ou moins mystiques ou maléfiques. Si déjà les naissances gémellaires sont un événement pour la famille et tout le village, a fortiori celles des triplets. Il y a une cinquantaine d’années, la nouvelle d’une naissance de triplets emplit tout le pays guidar. Une femme de Matafal ou de Libé, rapportait-on, avait accouché des triplets. Aussitôt la nouvelle connue, dans tous les villages, les dignitaires religieux convoquèrent les devins en consultation pour leur demander ce que cela augurait. Une de leurs prescriptions pour conjurer ce qui était vécu comme un mauvais présage était que tout le monde devait attacher une cordelette tirée de l’écorce de Bahaunia thoningii (besɗeke) au poignet et attendre qu’elle s’enlève d’elle-même, après qu’elle ait séchée.

A cause de ce moment exceptionnel que constitue la naissance des jumeaux dans une famille, plusieurs cérémonies sont organisées pour la célébrer, d’une part, afin de conjurer un éventuel mauvais sort qu’ils porteraient et, d’autre part, pour se réjouir d’accueillir plusieurs enfants en une fois. Elles ponctuent différents moments de la vie des jumeaux qui sont : la naissance (l’accouchement), les félicitations des familles et amis, la fête des jumeaux à proprement parler, le moment où ils commencent à marcher, leur mariage et, dans une certaine mesure, leur mort.

CEREMONIES ORGANISEES A LA NAISSANCE

La naissance des jumeaux est évidemment une surprise découverte au moment de l’accouchement, la société guidar traditionnelle n’ayant pas des moyens de détecter le nombre et le sexe des enfants à naître pendant la grossesse.

A l’accouchement donc, dès la sortie des jumeaux, les femmes qui assistent la femme en période des couches (l’accouchement est l’affaire exclusive des femmes), poussent des cris de joie (əɗiy salalay). Dès cet instant, on met en branle un certain nombre de pratiques. On cherche deux calebasses neuves (calebasses dites blanches, non traitées), une grande et une petite. On remplit la première d’eau et la plus petite est renversée dans le liquide (en fait, elle surnage). Deux baguettes sont confectionnées à l’aide de tiges de mil attachées en paire. A l’aide de ces baguettes, on tape sur la calebasse renversée, les bras croisés. Chaque matin et chaque soir, cette petite musique est jouée, et cela pendant une semaine, la période réclusion dans la case des bébés et de leur mère. Seules des personnes ayant déjà eu des jumeaux (afit mesingɗe et met mesingɗe) peuvent taper sur cette calebasse. Ils seront d’ailleurs parrains et marraines des jumeaux et la marraine sera celle qui aura sectionné le cordon ombilical.

A la naissance, les jumeaux seront symboliquement répartis entre le père et la mère. Le premier à sortir est l’enfant du papa, quel que soit son sexe (s’ils sont de sexes différents), le second est l’enfant de la maman.

Un autre symbole sera un collier attaché autour des reins de la mère des jumeaux, fait d’une simple liane (yamɗa).   

Les parents des jumeaux se sont identifiés par une paire de tiges de mil nouées ensemble aux deux extrémités et au milieu pour former un bâton qu’ils garderont avec eux lors de leurs promenades, cela,  jusqu’à la grande fête. A la vue d’un homme ou d’une femme portant ce bâton, on sait que cette personne est encore dans la phase de quarantaine suivant la naissance de jumeaux et on ne peut pas lui tendre la main pour la saluer, par exemple.  Ils portent également avec eux, en permanence, une calebasse dans laquelle on leur servira à boire et à manger car ils ne peuvent ni manger ni boire avec les autres personnes tant que la grande fête ne les aura pas libéré de ces différentes contraintes. Le parent des jumeaux dépose sa calebasse par terre, on lui sert la boisson ou la nourriture et il la reprend ; on ne peut pas lui tendre la calebasse. Ceux qui sont soit eux-mêmes des jumeaux, soit des parents de jumeaux, sont dispensés du respect de ces dispositions contraignantes, à l’égard de ces personnes en quarantaine.

LE BAPTEME DES JUMEAUX. əgilya aka monzoloko ou əkpor pəlwiti

Après une semaine de claustration dans la case de leur mère, les jumeaux vont être sortis. Au cours de cette cérémonie, la case sera nettoyée, le méconium et les premiers excréments gardés jusque-là dans un coin de la case seront sortis et jetés sur une fourmilière. C’est ce jour-là aussi que les enfants recevront leurs noms.

Chez les Guidar, les noms des jumeaux et des deux suivants sont prédéterminés par leur statut de jumeaux, leur sexe et leur position, selon qu’ils sortent en premier ou dernier lieu.

Noms des jumeaux de sexe masculin :

  • Gəlva (orthographié Guilva) pour le premier à sortir ou parfois Masay.
  • Meseŋge ou Seŋge (par aphérèse). Orthographes connues : Messingué ou Singué pour le deuxième à sortir.
  • Le deuxième peut également s’appeler Malaye ou Malaï (Variante : Amalaye) ou Alwa (Aloua).
  • Se-yin (déformé en Seini) et Assana, noms d’emprunt chez les musulmans, sont également des noms donnés aux jumeaux.
  • Le devin peut prescrire d’éviter que des jumeaux ne soient reconnus par leurs noms ; dans ce cas, on peut les appeler Daya pour le premier et Sawha pour le deuxième, ce qui veut dire tout simplement l’aîné et le cadet.

Noms des jumeaux de sexe féminin.

  • Mosoŋ (féminin de Meseŋge) de pour la jumelle à sortir en premier, si les deux sont de sexe féminin.
  •  ɗimle est la fille jumelle d’un garçon.
  • Maliykə ou Malaykə ou encore Alwa ou Alukə : noms de la fille sortie en deuxième position

Les enfants qui naissent après les jumeaux sont  appelés Dəbla (orthographe connue : Doubla) pour les garçons comme pour les filles. Le nom peut être légèrement modifié pour les filles en Dəbəla ou Dəbəlkə. Les filles peuvent également s’appeler Gəzluwa.

Les suivants de Dəbla se nomment Gandaf.

Il faut noter qu’Alwa, Seŋge ou Masay sont parfois donnés à des enfants qui ne sont pas jumeaux, sur instructions du devin en consultation avant le baptême. Il s’agit par-là de leur procurer une protection contre les esprits maléfiques. Ils seront alors baptisés après une cérémonie consistant à les présenter sur une fourmilière (monzoloko) comme pour les jumeaux. Un enfant peut même être rebaptisé de l’un de ces noms de jumeaux après avoir souffert d’une maladie qui le rend grincheux comme les jumeaux, souvent considérés, à tort ou à raison, comme des enfants délicats (məsmemeɗeŋ ou məswəna).

PREPRATIFS DE LA FETE

INFORMATION DES PARENTS DE LA MERE DES JUMEAUX

Les parents des jumeaux vont être officiellement informés moyennant une somme d’argent de 10.000 à 20.000 F (avant la monétarisation de la vie, on offrait une chèvre). Les beaux-parents saisiront cette occasion pour solder les différends, notamment liés à la dot. Si toute la dot n’avait pas été réglée, la naissance des jumeaux va être une occasion idoine pour réclamer le solde car, tant que tous les litiges entre les deux familles n’auront pas été arrangés, les parents de la mère des jumeaux ne donneront pas leur feu vert pour l’organisation des cérémonies.

CEREMONIE DE PRESENTATION DES FELICITATIONS : əlma va.

Une fois que les deux familles se seront accordées sur l’organisation de la fête des jumeaux, une première cérémonie consistera à la visite des membres de la famille aux parents des jumeaux. C’est le əlma va ou « tendre la main ». Les membres de la famille de la mère des jumeaux seront les premiers à venir dans le domicile des jumeaux. Chacun vient avec une calebasse de mil, dont la quantité est facultative. Les parents des jumeaux se tiennent devant le portail pour recevoir ces dons de mil. Le cérémonial consiste à prendre du mil dans chaque main et à offrir, les bras croisés, à la mère des jumeaux qui, elle aussi, reçoit ce cadeau, les bras croisés. Le père des jumeaux reçoit également sa part de poignées de mil. Puis, tout le mil sera réparti entre le père et la mère des jumeaux, selon la volonté du parent qui offre, chacun des deux parents disposant d’un récipient dans lequel il reçoit sa part de cadeaux.

Un ou deux jours plus tard, les membres de la famille du père des jumeaux viennent à leur tour « tendre la main », avec le même cérémonial. Ce jour-là aussi on fixera la date de l’étape suivante, qui consiste à consulter le devin sur l’ensemble du processus.

Il faut noter que lorsqu’ici on parle de famille, il s’agit de la famille au sens élargi, c’est-à-dire le clan. En effet, chez les Guidar, la cellule de base n’est pas la famille nucléaire, constituée du père, de la mère et des enfants.  Pour certains événements tels que le mariage, les funérailles, la fête des jumeaux et, autrefois, la défense en cas d’agression, tous les membres d’un clan sont concernés.

LA CONSULTATION DU DEVIN : ETAW Gəmnda, Ula PIɗe.

Chez les Guidar, le devin (wəwəl piɗe, məskə heligi, metaw gəmnda) occupe une place centrale pour tous les événements marquant la vie des familles : la naissance, la maladie, la mort, le mariage, les fêtes, l’organisation de la chasse ou même simplement un voyage qu’on veut entreprendre ou une démarche quelconque pouvant influer sur la vie des individus. Et donc, pour la fête des jumeaux, le devin sera consulté pour qu’il dise comment vont se passer plusieurs événements liés à cette fête.

La divination se fait de plusieurs manières. Les devins peuvent utiliser des bâtonnets recourbés sous forme d’un 7, des cailloux lisses, de petites pierres ou encore des coquelets. Lorsque les brindilles en 7 sont utilisées, le devin les jette par terre (il en utilise à peine une dizaine) et interprète la position qu’elles prendront. D’où l’expression ula piɗe qui veut dire « voir ou interroger les brindilles ». Lorsque les coquelets sont utilisés, le devin les étrangle délicatement à l’aide d’une cordelette ; quand ils étouffent, ils se débattent et s’évanouissent, dans un état particulier traduit par la position des ailes, des pattes et du bec. C’est cette position que le devin interprète. Par du bouche-à-bouche, il ranime ensuite les poussins.

C’est le père des jumeaux qui convoque le devin. Pour cette cérémonie, il prépare de la bière du mil que consommeront les participants à la cérémonie, à savoir des représentants des deux familles. Il s’agit, en général, des personnes d’âge respectable, des oncles paternels et maternels des jumeaux, des voisins. Un représentant de cette assemblée va alors poser des questions au devin à qui il va demander de se prononcer sur un certain nombre d’interrogations. Il va lui demander de deviner dans quel état de santé se trouve la famille nucléaire des jumeaux (le père, la mère, les co-épouses et tous les enfants de la concession), puis l’état de la grande famille du père des jumeaux ; celle de la famille de la maman des jumeaux. Ensuite, il va scruter tous les coins du village et notamment tous les chemins qui mèneront à la place de la fête pour voir de quel côté viendra une éventuelle menace sur les cérémonies et la famille des jumeaux. Il va scruter les différents types de danger.

Chez les Guidar, il existe plusieurs types de « sorcellerie », ces pratiques maléfiques qui sont à la base de toutes les maladies et de la mort. Ainsi, il y a ce qu’on appelle le təfiya. Le məfinya (le sorcier disposant de cette capacité de nuisance) capture le double d’une victime, le tue et le mange. Si un guérisseur patenté n’intervient pas à temps pour libérer ce double fait prisonnier, avant qu’il ne soit tué et mangé, la victime mourra. Les accès palustres qui emportent les enfants, la méningite et toute autre cause de mort brutale et subite sont généralement attribués aux  məffinge (pluriel de məfinya). Il y a ensuite le garzlaw ou zəga na va ɗəfa. Dans ce cas, le sorcier appelé məsgarzlaw jette un sort maléfique qui provoque une maladie et éventuellement la mort, si cette action n’est pas contrecarrée à temps par un guérisseur. C’est ainsi que sont souvent expliquées les maladies chroniques tels que les cancers, les maladies provoquant de l’ascite (əska). Même des accidents comme la chute d’un arbre et aujourd’hui les accidents de la circulation, les morsures de serpent, etc, sont régulièrement considérés comme les conséquences de zəga na va ɗəfa. Il y a également ulgo, l’empoisonnement. Souvent les maladies qui s’attaquent au système respiratoire comme la tuberculose ou les maux d’estomac et, de nos jours le sida-vih, sont attribués à l’empoisonnement.

Donc, le devin va sonder si l’un ou l’autre de ces dangers plane sur les cérémonies. En effet, c’est important de savoir quel type de danger, car les dispositions pour contrecarre et prévenir ces dangers ne sont pas les mêmes, selon le type de menace. D’ailleurs, le devin lui-même pourra préconiser certaines dispositions à prendre mais, en général, il faut recourir à d’autres compétences pour se protéger des dangers.

Le devin précisera le type d’animal qui sera offert au tam-tam ; il y sera accroché après le retour de la chasse organisée à cet effet. Cela peut être une souris, un rat, un oiseau, un criquet ou même un serpent.

Le devin précisera même certains détails : quels remèdes conviendraient pour blinder le tamtam le jour de la grande fête, la durée des festivités (faut-il arrêter assez tôt la danse ou laisser les gens se défouler jusqu’à l’aube). Il donnera également des indications qui permettent de fixer la date de la grande fête.

PREPARATIFS DE LA FETE.

La date fixée, toutes les familles apprêtent le mil pour préparer la bière. En effet, c’est ce que les membres de la famille qui se sentent concernés apporteront surtout à la fête des jumeaux. Des membres de la famille qui habitent dans d’autres villages envoient du mil à leurs proches habitant le village où auront lieu les festivités afin qu’y soit préparée la bière.

Une semaine avant la fête proprement dite, les parents des jumeaux subissent une préparation morale consistant à observer une vie austère faite de privations diverses. Ils cessent leurs activités habituelles, se nourrissent de repas sobres, non assaisonnés et sans arachide.

Un hangar (gizlirke) est aménagé pour y recevoir les parents des jumeaux et faire une cuisine destinée à un cercle restreint. Deux marmites sont apprêtées, une avec deux petites ouvertures (hiŋzuwe) symbolisant les jumeaux et une autre dotée d’une grande ouverture (masərga). Ils vont être partiellement enterrés dans le hangar servant de lieu de cérémonie. Dans le hangar, on prépare une bière dite mbazla məɗoto qui sera transvasé dans l’une des marmites pour y fermenter. La marmite aux deux ouvertures sera remplie de drèches de bière puis bouchée avec des lianes provenant d’un arbuste appelé besɗeke (Pliostogma ou Bahaunia thoningii). A la fin des cérémonies, cette marmite sera cachée quelque part par le père des jumeaux. Elle ne pourra être rouverte que pour y prélever le contenu qui servirait à traiter une personne qui serait victime d’une maladie attribuée aux jumeaux, ce qui peut arriver, notamment en cas de violation d’interdits liés aux jumeaux.

Deux autres marmites seront également apprêtées pour préparer les repas avec les produits de la chasse qui sera organisée la veille de la grande fête.

LA CHASSE (HELLEKI).

A la veille de la grande fête, une battue est organisée, dans l’après-midi (hellek net mesingɗe). A l’aide d’un instrument de musique fabriqué à partir de la corne de bœuf, les hommes sont invités à participer à cette chasse. Contrairement à la battue organisée aux fins de ravitailler le village en gibier, la chasse rituelle à l’occasion de la fête des jumeaux est organisée sur les terres jouxtant le village et est destinée à tuer tout ce qui est animal, y compris les criquets, les petits oiseaux, les souris ou même les serpents qui, d’ordinaire ne font pas partie du gibier. En effet, au cours de la chasse traditionnelle, ne sont considérés comme gibier que le francolin, la pintade et l’outarde dans la catégorie des oiseaux, les lapins, les lièvres et l’écureuil dans la catégorie du petit gibier et enfin les antilopes de toutes catégories, les phacochères, les singes et cynocéphales pour la catégorie de gibier à proprement parler, avec un prestige particulier pour les grandes antilopes, le phacochère et le buffle, lorsqu’il y en avait dans nos savanes. Ces derniers sont souvent tués à l’aide de lances ou de flèches (tuer un gros gibier à l’aide d’une flèche confère à l’auteur le titre honorifique de chasseur professionnel – gawu) alors que les autres animaux sont généralement tués à l’aide de bâtons.

Tout le produit de la chasse organisée à cette l’occasion est ramené chez le père des jumeaux, à l’exception des antilopes ou du phacochère (matəl) dont le chasseur offrira uniquement l’épaule (papaya). La partie de chasse terminée, les hommes rentrent tous en direction du lieu des cérémonies, en courant à petites foulées, au rythme des chants de joie (horohom), ceux qui ont réussi à tuer un animal l’accrochant fièrement à l’épaule à l’aide de lianes. A la vue des chasseurs qui rentrent, les femmes sortent des concessions aux cris de youyous (salalay) et vont à la rencontre des hommes, chacune tenant une calebasse pleine d’un breuvage, le moût provenant de la décantation de la bière du mil (ndirkiɓi). S’en suit un jeu au cours duquel un simulacre d’échange de gibier contre le breuvage est exécuté. Les hommes miroitent le gibier aux femmes en leur disant « femme, voit cette chose qui est à toi – ɗakə awla zəga noko». A leur tour les femmes font un chantage avec le breuvage (« homme, voit cette chose qui est à toi – ɗəfa awla zəga noko»). Puis l’homme consent à remettre le fruit de la chasse à une femme qui lui tend en retour sa calebasse de breuvage. Ainsi, tous les animaux tués seront rassemblés dans la concession des jumeaux, puis les hommes se désaltèrent avant de regagner leurs domiciles respectifs.

LES DIFFERENTES DANSES.

Il y a en fait 4 jours de danse pour fêter les jumeaux :

  •  əskəl ma wuɗo : trois jours avant la grande fête, on commence à jouer le tamtam et en général c’est une soirée animée par les jeunes du quartier qui s’exercent pour espérer un jour intégrer l’équipe des danseurs professionnels.
  •  əskəl nat mata. C’est la danse en l’honneur de la mère des jumeaux. Elle se déroule la veille de la grande fête. En ce moment-là, les membres des familles venant des villages éloignés sont déjà arrivés et la danse est plus animée, pouvant durer tard dans la nuit.
  •  əskəl na paya. C’est le jour J, le jour de la grande fête qui draine tout le monde, y compris les habitants des villages voisins.
  •  əɗəkiya. Le dernier jour des cérémonies.

əskəl na paya.

Au petit matin du jour de la grande fête, on renouvelle (on prépare) les bâtons faits d’une paire de tiges de mil. Deux calebasses  vierges sont également remplies d’eau dans laquelle on renverse une petite calebasse.

Le repas.

Les parrains et marraines sont chargés de cuisiner le repas cérémonial dans le hangar dédié à cet effet. Il y aura au menu du poulet et le gibier issu de la partie de chasse de la veille, accompagnés, comme de bien entendu, par l’éternelle boule de mil. On prend soin de toute la poubelle issue de ce repas (plumes d’oiseaux, peaux d’animaux, etc) qui sera sortie à la fin des cérémonies et entièrement consumé dans un feu vif, sous le regard vigilant de personnes désignées à cet effet. Cela, pour éviter que des personnes malveillantes n’utilisent ces déchets dans le but de nuire à la famille des jumeaux. Ce repas sera consommé dans le hangar même et uniquement par ceux qui y sont élus, à savoir des personnes nées jumeaux ou celles qui ont accouché des jumeaux.

Dans la cour, les femmes s’affairent à apprêter le repas qui servira à accueillir les membres de la famille de la mère des jumeaux. A cet effet, seront abattus des poulets et des chèvres. Le repas sera servi dans les concessions des voisins.

La boisson.

La collecte ou réception de la bière apportée par les membres des familles, les amis et les voisins se fera à deux endroits qui sont dédiés à cette collecte, sous des grands arbres qui fournissent un ombrage. On appelle l’endroit où est collectée l’ensemble de la boisson kelle. Un endroit est réservé pour recevoir la bière apportée par les membres de la famille du père des jumeaux (les membres de son clan – əlfa et ceux du clan de sa maman – gəmsa, un autre pour les relations de la mère des jumeaux. La bière offerte par les amis est gardée dans les cases respectives des deux parents des jumeaux. C’est là que les parents reçoivent leurs amis invités.

Les parents du père des jumeaux lui envoient une marmite de bière et deux marmites pour la belle-famille ; ceux de la femme en font de même pour leur fille et pour leurs beaux-parents.   Puis, la boisson est distribuée à des personnes ou des groupes précis :

  • Le chef du village à qui sa part est envoyée, à l’endroit où il est assis, généralement sous un grand arbre un peu à l’écart de l’attroupement ou chez un voisin.
  • Le chef du quartier
  • Les voisins
  • Les oncles maternels de l’homme
  • Les oncles maternels de la mère des jumeaux
  • Les animateurs des veillées (mərkahaŋɗe)
  • Le joueur du tamtam
  • Les danseurs professionnels.

En fait, même ceux qui n’auront pas été nommément servis, parce que n’appartenant à aucun groupe invité, boiront avec les autres. En effet, autant la boisson servie au deuil est dévalorisée et même crainte, autant la boisson de la fête des jumeaux est honorée et offerte avec joie à tous ceux qui sont de la partie. En effet, selon la croyance des Guidar, on n’empoisonne pas quelqu’un à l’aide de la boisson ou de la nourriture servies lors de la fête des jumeaux ; la tentative d’empoisonnement se retourne contre son auteur, comme un boomerang. C’est aux funérailles que les sorciers sont prompts à empoisonner leurs ennemis, d’où l’habitude d’éviter les funérailles, notamment pour des personnes jeunes et a fortiori pour les enfants, qui sont interdits de participer de funérailles, à moins qu’ils ne soient de la famille du défunt.

Les danses.

Une fois que tout le monde aura bu, le batteur du tamtam va le placer sur la fourmilière qui aura été choisie à cet effet (əgilya aka monzoloko) et commencer à jouer. Pendant ce temps, les parrains et marraines des jumeaux les habillent ainsi que leurs parents. Chaque parent arborant les plus habits achetés par les familles respectives portera une couronne faite d’un bandeau de tissu traditionnel (gabaga). Devançant le père des jumeaux, une de ses sœurs portera la calebasse remplie d’eau dans laquelle une autre de plus petite taille a été renversée ; elle tape sur la petite calebasse avec les baguettes confectionnées le jour de la naissance des jumeaux. Le parrain tiendra un bout du bâton de tiges de mil et le père des jumeaux, l’autre bout. De son côté, la mère des jumeaux fait pareil, avec une de ses sœurs et sa marraine. On les traîne alors sur la fourmilière où ils vont effectuer une ronde autour du tamtam, en sens inverse l’un de l’autre. Le batteur du tamtam joue un air spécial par lequel le tamtam réclame sa souris. En subissant du bruit sur leur habitat, les fourmis ont tendance à sortir, si la fourmilière est effectivement habitée. Si elles ne sortent spontanément, on verse de l’eau sur la fourmilière ou on des graines de courge, toutes choses qui les inciteront à sortir de leur cachette. Alors, on se saisit des fourmis qui sortent et on les écrase sur le front des jumeaux et de leurs parents, les fourmis mâles sur le front de l’homme et les fourmis femelles sur le front de la femme.

Après cette courte cérémonie, le tamtam est déplacé sur la place publique où aura lieu la danse publique. Le chef de terre prend la place du batteur et après avoir montré ostensiblement son blindage, prend la parole pour saluer la foule, bénit les cérémonies et menace les éventuels fauteurs de trouble.

Les parents des jumeaux sont alors portés sur les épaules de personnes de leurs familles respectives et se mettent à danser, en tournant dans le sens inverse l’un de l’autre, chaque parent accompagné des membres de son clan. Et à chaque fois qu’ils se croisent, ils font un simulacre de combat avec leurs bâtons de tiges de mil. Les jumeaux eux-mêmes, s’ils sont encore en vie, sont portés par leurs parrains. S’ils sont décédés, des fruits d’un arbre appelé titil sont portés en lieu et place.

A cette étape de la danse, les oncles maternels de la maman des jumeaux se laissent aller à un chantage envers le mari et sa faille, notamment si la dot n’a pas été entièrement payée ou si on estime qu’elle n’était pas consistante. Ils menacent d’emmener leur fille, ce à quoi les parents du mari s’opposeront vigoureusement, en promettant de remédier au différend.

Après deux tours de danse, ils sont déposés par terre et commence une phase consistant à recevoir des cadeaux, désormais en espèces sonnantes et trébuchantes. Une femme de la famille du père des jumeaux tient une assiette et chaque fois qu’un parent ou un ami de celui-ci lui colle un billet ou une pièce au front, ce cadeau est récupéré dans cette assiette. Il en est de même du côté de la femme. Si leurs parrains et marraines estiment que cette phase est terminée, ils sont reconduits dans leur hangar où ils se débarrasseront de leur bandeau de gabaga. Dès cet instant, ils sont libres de rejoindre la danse ou de deviser avec des groupes d’amis ou de parents.

Pendant ce temps, la danse bat son plein, au son du gəma. C’est le əskəl na paya, la grande danse des jumeaux, l’une des plus grandes fêtes en pays guidar. Tout le monde peut entrer dans la danse, les principaux acteurs que sont les parents des jumeaux et les danseurs professionnels restant au milieu du grand cercle constitué autour du tamtam. En effet, la danse des jumeaux est l’occasion par excellence pour l’expression des danseurs professionnels, parés de leur tenue d’apparat. Ils forment leur groupe, autour duquel monsieur et madame tout-le-monde s’agglutinent. Les hommes tiennent en mains leurs bâtons, les femmes une petite hache servant à cette danse. Les hommes et les femmes se lancent dans des poésies dont la mélodie résonne comme un grand désordre apparent ; mais bien souvent, il s’agit de poèmes amoureux destinés à séduire une cible bien choisie. La danse de jumeaux se termine souvent par le rapt de femmes, événement venant comme le couronnement de démarches ayant duré parfois plusieurs semaines ou plusieurs mois, dans le plus grand secret. C’est pour cela également que la danse des jumeaux peut être une occasion de règlements de comptes générés par les disputes au sujet d’une femme convoitée ou enlevée par un concurrent. Ces bagarres pouvant engendrer une mort d’homme, elles doivent être conjurées par les organisateurs de la cérémonie (le tamtam est blindé à cet effet) et par le chef de terre territorialement compétent.

L’heure à laquelle la danse doit s’arrêter aura été préalablement indiquée par le devin lors de la consultation.

LA DANSE DU LENDEMAIN DU GRAND JOUR : əɗəkiya

Le lendemain de la grande fête, une petite danse est organisée, appelée əɗəkiya. Les cheveux des parents seront rasés à l’issue de cette cérémonie.

Les parents sont lavés et sont conduits sur la fourmilière. De la farine du mil germé (wuɗo) est badigeonnée sur le front des parents des jumeaux et de tous les membres de la concession, qui sont, en fait, appelés à vivre avec les jumeaux. Pendant que les gens dansent, un homme muni d’une houe masculine (zigiŋ) et une femme disposant d’une houe féminine (bardaw məɓehe) vont engager une concurrence pour aller mettre l’outil sous le grenier (amba maha), l’un et l’autre tentant d’y arriver le premier, après avoir fait le tour de concession.

Le rasage des cheveux suit un cérémonial particulier. Lorsque les colliers destinés aux parents des jumeaux, appelés helelew, arrivent, on arrête de jouer le tamtam et on étale deux nattes par terre, une pour chacun des parents. Puis, les parrains et marraines, en les prenant sous les aisselles, font semblant de les faire asseoir (əzokoti). Et après quelques tentatives, finissent par les faire effectivement asseoir. Ce sont les belles-sœurs qui vont raser les parents des jumeaux des jumeaux>. Autrefois, le rasoir s’appelait slambər ; aujourd’hui, on utilise les lames de rasoir achetées dans le commerce.

Le rasage terminé, la femme se voit offrir un collier spécial appelé helelew à mettre autour du cou et l’homme le même collier, mais à porter autour du poignet. Le helelew est un fil de coton sur lequel on a filé des perles (everzle), des cauris (mazla) et des brindilles d’une graminée appelée hinlezer. Puis, les jumeaux et leurs parents recevront chacun deux bracelets en fer symbolisant les jumeaux (gərəm net mesiŋɗe) qu’ils peuvent porter toute leur vie, s’ils le désirent. Mais la plupart les gardent de côté, dans leur case.

La suite de la journée consistera aux visites que les parents des jumeaux vont rendre aux membres de leurs familles et à leurs voisins, pour renouer une vie normale, après toute cette période perturbée par la naissance de ces enfants atypiques. C’est la cérémonie dite de ugul təlit migil mesingɗe. Dans chaque concession, ils sont accueillis à l’entrée avec une solution faite d’eau et de farine de mil qui sera versée sur leurs pieds, en guise de bénédiction. Et on leur offre à manager et à boire, car chacun s’est préparé pour cette phase des cérémonies. Si les parents sont dans d’autres villages, on organisera cette visite à une date fixée de commun accord. C’est souvent le cas lorsque les jumeaux sont nés et célébrés dans un village où les parents ont migré. Ainsi, si des ressortissants de Zigi installés à Lumbeli ou à Guekké y font des jumeaux, ils vont les célébrer dans ces villages de migration, mais ils reviendront dans le village de leurs ancêtres pour cette visite. Cela donne souvent lieu à de véritables réjouissances dans les familles. On abat des poulets et des chèvres et la bière (du mil) coule à flot.

INTERDITS ET AUTRES RITES LIES AUX JUMEAUX.

On attribue aux jumeaux certains pouvoirs. Ainsi, certaines maladies comme la conjonctivite, sont attribuées aux jumeaux ou plus exactement à la violation des règles de conduite vis-à-vis des jumeaux. Les parents des jumeaux aussi mettent certains objets dans leurs champs pour protéger les récoltes des pilleurs. En effet, lorsqu’on constate la présence de tels objets dans les champs, on se garde d’y toucher.

A cause de ces pouvoirs occultes attribués aux jumeaux, il y a certaines règles qu’il faut observer. Ainsi, avant leur baptême, on ne doit pas leur rendre visite en étant dans un état d’impureté, c’est-à-dire sans s’être lavé après un rapport sexuel. Les femmes en phase de menstrues ne doivent pas entrer dans la concession des jumeaux encore en phase d’isolement, sous peine d’être frappées de stérilité.

On ne doit pas raser complètement leurs cheveux ; on rase la moitié gauche ou la moitié droite d’abord puis, la prochaine fois, ça sera l’autre moitié. Si on rencontre des enfants avec une moitié de la tête rasée, il s’agit de jumeaux, à moins que le devin ait décidé de raser un enfant non jumeau pour le protéger des sorciers.

On doit toujours donner la même chose aux jumeaux, en qualité et en qualité. Les habits doivent être les mêmes. Même en cas de sanction, les deux doivent être sanctionnés pour la faute d’un seul. Le risque d’agir de façon discriminatoire envers l’un des jumeaux est que celui qui se sentirait lésé « se sauve ». C’est cette expression qu’on utilise pour parler de la mort d’un jumeau : il ne meurt pas, il se sauve.

Une petite fête est organisée lors du mariage de jumelles. Si les cérémonies que nous avons décrites n’ont pas été exécutées en temps opportun, il faut absolument les organiser avant d’envoyer une fille jumelle en mariage, de peur de subir des maléfices dans son foyer. A l’enterrement de jumeaux, on joue à nouveau sur la calebasse, comme à leur naissance et on détruit les marmites à deux ouvertures cachées

Laisser un commentaire