guma association

LE MARIAGE CHEZ LES GUIDAR :

Albert Douffissa[1] et Toumbaya Tiye[2]

Ce chapitre sur le mariage repose essentiellement sur les pratiques enregistrées dans deux villages, Djougui et Biou, d’où sont originaires les principaux auteurs. Mais il a bénéficié des débats organisés dans les réseaux sociaux animés par Guma.

Nous décrirons ici les différents types de mariage et les différentes étapes.

  1. ədaha ou əkaya. Le mariage classique.

Dans le livre, « Les noms chez les Ɗiy na Kaɗa »[1], l’auteur a rapporté les deux types de mariage qui prévalent en pays guidar.

 « Le premier type de mariage, c’est ce qui existe à peu près chez tous les peuples. Pour simplifier, disons qu’un  homme courtise une jeune fille, lui propose le mariage et elle accepte. L’homme va manifester son intention de façon officielle aux parents de la fille et commencera alors une période plus ou moins longue de un à trois ans de « fiançailles » au cours de laquelle l’homme va doter la jeune fille, la dot comprenant diverses contributions : travaux manuels pour le compte des futurs beaux-parents, dons d’animaux, d’habits, d’argent ou d’autres biens matériels, une ou deux fêtes que le prétendant offre aux membres du clan de la fille. Lorsque le processus aboutit sans anicroche, la fille sera envoyée en mariage. En règle générale, c’est ainsi que le premier mariage de jeunes gens s’organise par l’intermédiaire des deux familles » (p.158).

Le mariage comporte plusieurs phases, allant du choix de l’épouse à son installation dans foyer. Cette période qui peut être plus ou moins longue constitue les fiançailles et exige de la patience et de l’endurance. C’est ce qu’on appelle ədaha ou əkaya. Quelqu’un dira : « Iŋ tat əkay ana wisne da » (je suis en train de chercher à épouser la fille d’un tel). En fonction des époques et des villages, les différentes phases de ce processus peuvent varier, certaines pouvant être escamotées ou simplifiées.

  1. Choix de l’épouse

Après avoir identifié une fille qui plaît à leur goût, deux ou trois jeunes gens vont se décider à aller se présenter à elle pour requérir ses faveurs. S’ils sont tous candidats, elle sera appelée à faire un choix, si jamais l’un des garçons lui convenait. Généralement les visites ont lieu en début de soirée, aux environs de 18 heures 30 – 19 heures 30 minutes ; quelques dizaines de minutes à une heure de temps suffisent pour dialoguer avec la jeune fille. Les jeunes garçons arrivent chez leur camarade ou ami qui est, soit le frère aîné  de la fille ou son cadet (ou encore un autre plus jeune) pour bénéficier de son concours et être introduit auprès de la fille.

Accueillis à l’entrée de la concession, ils vont attendre que l’intermédiaire obtienne l’autorisation du chef de la famille pour rencontrer la jeune fille. Après avoir pris connaissance de l’objet de la visite des jeunes gens, à savoir rencontrer la fille X, le chef de famille va s’enquérir de l’identité des visiteurs.

La réponse du père ou de la personne tenant lieu de tuteur de la fille va dépendre des éléments relatifs aux jeunes visiteurs.  Il peut ne  pas être d’accord, soit parce qu’un des enfants ou ces garçons sont catalogués de délinquants, de paresseux notoires soit en raison de leurs origines familiales, s’il considère, par exemple, qu’ils sont issus de parents pauvres ou encore ayant des différends avec la grande famille (notamment relatifs à l’enlèvement d’une femme dans la famille de la jeune fille convoitée, par un parent des candidats (« massa »). Dans ces cas d’espèce, le père va exprimer son refus en disant au messager : « vas leur dire qu’elle dort déjà ou bien qu’elle a voyagé. » C’est une façon polie de dire non à leur demande  et même si la fille convoitée ne dort pas ou n’a pas voyagé, elle doit garder le silence.

S’il marque son accord, la jeune fille reçoit ses hôtes et les installe dans la case (chambre) ou à côté de la case de son frère, ami des prétendants ; le temps des échanges ne doit pas durer très longtemps. Autrement dit, le père, qui veille au grain,  par l’intermédiaire du même garçon, va interrompre la causerie en disant : « vas, leur dire que nous allons au lit déjà pour dormir. »

Il faut signaler que les deux ou trois prétendants viennent ainsi présenter leur dossier de demande de la fille ou alors l’un d’eux vient pour confirmer un accord préalablement obtenu au cours d’une rencontre antérieure, et cette fois en présence du ou des autres qui vont être des témoins de cet amour.

Comment se passe le baratin ? Généralement ces prétendants  demandent à  la jeune fille d’opérer un choix  parmi  eux  ou  de confirmer son amitié à celui qu’elle aime déjà depuis quelques temps. Si les trois jeunes gens sont tous des candidats, souvent ce sont des bâtonnets qui vont être présentés à la fille afin qu’elle puisse choisir un bâtonnet qui va correspondre à son futur fiancé. Des marques sont faites sur chaque bâtonnet pour éviter la confusion et le doute sur la personne que la fille aura  choisie pour être son prétendant. Il faut noter que, par politesse, une fille bien éduquée ne doit pas dire non de manière catégorique à un garçon ou à un homme, si elle ne l’aime pas. Elle va toujours dire un « oui », même de façon nonchalante ou désintéressée, quitte à ce que le candidat comprenne le vrai sens de la réponse ; et si elle constate que le prétendant est sérieux dans ses intentions et veut s’engager pour la dot, alors qu’elle ne l’aime pas, elle va faire des reculades et multiplier des stratégies pour le faire comprendre à ce dernier. Elle s’ouvrira à sa mère, ou alors déléguera à une amie ou l’ami du garçon la mission de dire au prétendant son désaccord pour le projet de mariage envisagé.

De son côté, le chef de famille suivra discrètement les démarches du prétendant. Ainsi, il tolérera deux ou trois visites successives, mais si  elles sont répétitives (5 fois ou plus) sans qu’aucune nouvelle se rapportant au projet de mariage ne soit manifestée, le père peut changer d’avis et refuser les visites ultérieures de ces prétendants en supposant que la multiplicité de ces contacts comporte des risques d’outrepasser le cadre des visites courtoises et conduire à contrevenir aux bonnes mœurs (ce que les Guidar appellent « əkkess hara »). Une fois tombée dans cette situation un peu confuse, la rencontre entre la fille et son prétendant ne  peut se faire que sur le chemin des points d’eau, au marché, à la danse ou lorsqu’elle ira chercher du bois mort en brousse, sur rendez-vous secrets. Ces rencontres clandestines peuvent se poursuivre si les deux personnes s’aiment et souhaitent être unies par le lien de mariage. L’union se concrétisera par le rapt, « əgəm gulku » ; surtout si, entre temps un autre garçon est imposé à la fille ou alors un vieux polygame s’est engagé pour se marier de celle-ci. Cette situation, souvent très controversée, finit par encourager la jeune fille à s’enfuir avec le garçon qu’elle aime. Généralement, c’est à cause de la défaillance des parents du garçon, qui ont accusé beaucoup de retard dans l’amorce de la procédure de la dot, que ce genre de situation peut se produire. 

Par contre, lorsque le parent du garçon est signalé solennellement et dans un délai raisonnable, la visite au domicile  des parents de la fille est libre et même obligatoire jusqu’au mariage (rendre visite, saluer, apporter du savon). Dans ce cas de figure, après deux ou trois visites des prétendants au domicile des parents de la fille, une personne majeure (oncle du garçon, voisin du père ou ami, …) ira rencontrer le père de la fille pour lui parler de l’objet de la visite de leur enfant qui va tourner autour du projet de la dot de la fille ; cette visite se fait tôt vers 5 heures ou aux environs de 19 heures, des heures marquant la discrétion de la démarche. Il s’agit d’exprimer la candidature du jeune garçon comme prétendant pour la jeune fille et accessoirement de vérifier si la jeune fille courtiséen’est pas déjà une fiancée. Le langage utilisé en pareille circonstance fait appel aux parémies. Le messager dira par exemple : « Gufo na əŋkile nəde əŋgla dəf tai azat sa ? »  Traduction : « Je suis venu chez toi demander une gourde pour puiser de l’eau ; est ce que quelqu’un m’a devancé ? » 

Deux réponses sont possibles de la part du chef de famille de la fille :

Oui, il y a déjà quelqu’un qui vous a devancé. Dans ce cas la demande ne peut être accordée. Il ne restera plus au candidat que d’user des rencontres clandestines, s’il veut persévérer dans ses intentions d’épouser la fille visée. Si la fille est, de son côté consentante, les jeunes gens arrangeront un rapt (« əgəm zile ») mettant les parents devant un fait accompli. Un mariage peut éventuellement s’en suivre si les parents peuvent tolérer la surprise désagréable causée par le rapt de leur fille et on rembourse la dot du prétendant déchu. En cas de refus des parents, ils récupèreront leur fille et contre son gré, l’enverront en mariage chez le prétendant qui a perdu son crédit.

La réponse peut être : « non, il n’y a personne qui est signalée pour le moment ». Une telle réponse ouvre la porte à la possibilité de doter la fille, car il n’y a aucun autre prétendant. Le «Metive/Metve» ou chargé de mission rentre rapporter au père du garçon la bonne nouvelle reçue du père de la fille. Il faut noter que, la dot d’une fille pour son fils est un devoir pour le parent (père), surtout la première femme du garçon. La mère  de la fille est au centre du secret de celle-ci.  Elle est consultée par le père pour savoir si la fille aime le garçon qui démarche pour le mariage. La réponse affirmative de la mère  rassure le père de la fille. Aussi, la mère de la fille peut contribuer à l’échec du projet de mariage parce que, capable de détourner sa fille qui peut changer d’avis à tout moment.

Dans ce type de mariage, en dehors du choix des jeunes gens entre eux, qui se noue au gré des rencontres (à la danse du violon, au marché, etc), comme nous venons de le décrire ci-dessus, par le passé et rarement encore aujourd’hui, la future épouse pouvait aussi être choisie par les parents (le père ou la mère) du garçon, pour des raisons qu’ils croient être les meilleures : le comportement de la petite fille ou le statut des parents. Le choix peut d’ailleurs se faire dès la naissance et même avant la naissance. Un parent dira à une femme enceinte : «si l’enfant que tu accoucheras est une fille, elle sera mon épouse ou l’épouse de mon enfant un tel.» Avant l’accouchement, il se chargera de préparer la layette, constituée d’écorce de Pliostigma ou Bahaunia thoningii (besɗeke), travaillée pour lui conférer une texture douce, appelée bəssa. Si l’enfant qui naît est un garçon, il sera alors un ami à celui qui lui a préparé le couchage ; mais si c’est une fille, cette blague peut se concrétiser. Nous pouvons rapporter le cas d’une fille de Djougui, dans les années 70, qu’un Monsieur dans la quarantaine avait proposé d’épouser, à sa naissance. Il a persisté dans cette folle idée jusqu’à l’âge du mariage. Devenue grande, cette jolie fille très courtisée par les jeunes, découvrait qu’elle était destinée à un vieil homme, d’ailleurs, bien plus vieux que son papa. Elle refusa ce mariage, mais la dot versée en plus d’une décennie, était tellement élevée que les parents se sentaient obligés à tenir à  leur parole. Mal leur en a pris, la jeune fille préféra le deuxième type de mariage dont il sera question plus loin et s’en alla avec un jeune homme de son choix, faisant traîner son papa devant le tribunal coutumier pour le remboursement de la dot.

  1. La phase dite əbasa

Après les renseignements pris pour savoir si la fille avait un prétendant et avoir jugé de son comportement et de l’attitude de ses parents comme bienveillante,  un chargé de mission « metive ou metve » va être choisi pour représenter la famille du garçon auprès de la future belle famille. Il sera l’infatigable intermédiaire et va faire toutes les commissions entre les deux familles.

 L’intention du candidat peut simplement s’exprimer en envoyant un poulet braisé aux parents de celle sur qui il a jeté son dévolu (ərma təlta).

Mais, comme le rapporte ce parent interrogé à Biou, à partir des années 1970, pour bien faire, le messager du candidat reviendra dans la famille de la fille avec une somme de 50.000 F, 2 pièces de pagnes, 2 paires de chaussures (une simple, l’autre plus bien pour les sorties), un porte-monnaie contenant la somme de 2000 francs, une paire de boucles d’oreille, deux sous-vêtements, deux morceaux de savon, un parfum, une pommade cosmétique, des bracelets, etc. Tout ce trousseau va représenter l’entrée en matière de dot dite « zəga na əbasa, ərma təlta, ərma vata ou na kirmeminle ». Tous ces termes signifient la même chose. Le père de la fille va inviter la fille, en présence de sa maman, pour l’informer : « ces biens qu’on a apportés,  c’est M. Z qui voulait te doter pour être l’épouse  de son enfant ; est- ce que je dois les prendre, oui ou non ? » En cas d’une réponse affirmative, le père et la fille peuvent utiliser ce qu’ils ont reçu. Dans le cas contraire, on invite le chargé de mission à venir récupérer tout ce qu’il a apporté dans un bref délai. En cas de réponse affirmative de la fille et avant d’utiliser argent et présents, le père de la fille fait appel à ses frères pour échanger avec eux par rapport au projet de mariage de sa fille avec l’enfant de Z. S’il n’y pas d’inconvénients, le feu vert ou l’accord est obtenu pour la dot : « dəkaita (qu’il la dote !)». A partir de ce moment, la fille va se comporter comme une fille qui a un prétendant et ne saurait s’arrêter devant les appels ou les avances des autres garçons. Aucune autre visite dans le cadre de fiançailles ne peut être admise au domicile des parents exception faite, celle du prétendant et des membres de sa famille proche.

Le chargé de mission « metive ou metve » reviendra après le paquet d’entrée en matière pour comprendre la décision finale de la  grande famille suite à la concertation du père de la fille avec ses frères. Si la décision est favorable (« dəkaita »), les étapes suivantes seront engagées.

Dans le cas où l’intention première est exprimée dès la naissance de la fillette, celle-ci doit être validée quand la fille aura un peu grandi. Le prétendant se manifestera pendant plusieurs années par une attitude bienveillante et de petits cadeaux (fagots de bois à la mère de la fille, du tabac pour le beau-père) et on attendra alors qu’elle ait autour de 10-12 ans pour entamer la phase de əbasa. Si ce prétendant « précoce » désiste ou meurt ou encore si les parents de la fille le récusent, quelqu’un d’autre peut se présenter.

Parfois, pour entamer le əbasa, la jeune fille est enlevée et emmenée symboliquement chez le prétendant (əgəmət səba zlava) pour quelques jours avant d’être ramenée chez ses parents, accompagnée d’une chèvre et de la farine de mil. Après une saison des pluies au cours de laquelle le jeune prétendant, aidé de ses amis, aura fait labourer les champs de la future belle-mère, ses parents entreprendront une première démarche comptant comme dot[2] constituée de 10 houes et d’un semoir (sakar). Les houes seront partagées à parts égales entre le père et la mère de la jeune fille. Chacun des parents en offrira à certains membres de sa famille : le frère aîné du père en recevra 2 et, du côté de la mère, l’oncle de la fille en recevra 2 et la tante une.

  1. əttok mbəɗa « rencontre pour fixer le montant de la dot ».

D’après les pratiques rapportées de Biou, le père du garçon une fois rassuré par le chargé de mission de la possibilité d’établir  une union entre les deux familles à travers la dot de la jeune fille, va préparer la bière de mil, « ədah bia », pour inviter la belle-famille à son domicile à l’effet de fixer le montant de la dot. Il s’agit de « əttok mbəɗa ». Pour ce faire, le père du jeune garçon égorge une chèvre et un poulet pour recevoir ses hôtes. Il prendra les deux pattes postérieures de la chèvre « météssé » et une partie du vin « bia hiŋzuw » pour être acheminés très tôt le matin (entre 4- 5 heures du matin) par deux femmes chez le père de la fille pour le compte de la mère de la fille à épouser. En effet, on donne cette part de boisson et de nourriture à la belle-mère parce qu’elle ne prendra pas part à la rencontre de fixation de la dot qui a lieu chez le père du beau fils. A une certaine heure de la journée, le père de la fille et ses frères se rendent au domicile de la future belle famille pour fixer et conclure le montant de la dot qui deviendra un contrat que les parties devront respecter. Le père du prétendant aura aussi invité ses frères pour la discussion afin que la défense soit assurée, de manière polie et que les deux familles débattent et trouvent un consensus.

Une fois les hôtes accueillis et installés, le repas du poulet va être présenté en premier lieu, suivi de la boisson en quantités limitées. Les deux  parents (de la fille et du garçon) en présence discutent,  fixent le montant de la dot de la fille.

Une fois le consensus trouvé entre les deux familles, le montant de la dot est ainsi fixé ;  on est dans la joie, de part et d’autre. On apporte la nourriture, faite de viande de chèvre qui avait été égorgée pour la circonstance ; la bière de mil (bia, ou bilbil) est également servie cette fois-ci en quantité suffisante.  Au moment de quitter les lieux, une somme de 5.000 F est remise au père de la fille, « isilgən mbəɗah ». Le père rentre avec ses frères à son domicile où ils vont manger la nourriture (part de la mère) avec elle et boire avec tous les membres de la famille. Les 5.000 F reçus par le père de la fille vont être dépensés (ce dernier achète de la bière à ses frères et aux autres membres de sa famille).

Selon les témoignages des parents de Djougui, lors de la phase dite əttok mbəɗa[3], les parents du prétendant préparent de la bière du mil et en envoient 3 à 5 jarres aux futurs beaux-parents (ou ils envoient du mil chez les futurs beaux-parents qui se chargent de préparer la bière chez eux), accompagnée de la viande de chèvre[4] et de quelques présents : quelques chèvres, des houes, du tabac (tapa massaŋ), 1 ou 2 sac de sel et des habits (avant la popularisation du tissu pagne, on offrait une parure tissée à partir des cordages extraits des palmes des rôniers). Les parents de la jeune fille inviteront les membres proches de leur famille, à savoir les oncles paternels et maternels, des voisins, en présence du messager, pour leur annoncer la bonne nouvelle et leur demander leur avis. Si jamais quelqu’un dans la famille a une réserve liée à un contentieux ou de toute autre nature, c’est le lieu d’en débattre. Les contentieux qui sont les plus lourds et peuvent conduire au refus du mariage portent sur les crimes non amnistiés (piɗe) ou le  rapt d’une femme dans le clan de la jeune fille par un membre du clan du prétendant (masa). Dans le cas de refus, les biens apportés dans le cadre de la « dot » sont rendus et la procédure arrêtée. Les autres petits conflits (simples bagarres, vol du petit bétail par un membre du clan du prétendant chez le clan des parents de la jeune fille) peuvent se résoudre par une demande de pardon ou une petite amende (une ou quelques chèvres). Si on est d’accord et qu’on a bu la bière et mangé la chèvre, l’oncle paternel prendra la parole pour valider les fiançailles, en ces termes : « cet homme (en s’adressant au messager) qui nous réunit est venu en ami ; puisqu’il ne s’agit pas de bagarre, pour ma part, je n’ai aucune objection à ce sa démarche ». L’oncle maternel acquiescera : « moi, je suis l’épaule de l’animal ; je ne peux pas aller contre ce que le père de la fille a dit ». Ces paroles prononcées, les fiançailles vont se poursuivre. Le candidat sera officiellement le seul fiancé (ɗəf tay azata). Le fiancé peut acheter deux bracelets en fer (minzer) que la jeune fille portera sur sa jambe gauche en signe de fiançailles (les femmes mariées portent le minzer sur la jambe droite) et un autre bracelet pour le poignet. Aujourd’hui, cette phase d’introduction a été remplacée par une somme d’argent  d’un montant de 50.000 à 100.000 F, plus deux pièces de pagne, une paire de chaussures, une paire de sandalettes, une montre, des bracelets et des chaînes de cou.

C’est donc à cette occasion de əttok mbəɗa que le prix de la fiancée sera fixé et le messager informé. Autrefois, cette partie de la dot appelée arya[5] était constituée essentiellement d’animaux : des bovins, mâles et femelles, surtout une génisse de 3 ou 4 ans ou une vache ayant mis bas une ou deux fois, des chèvres, du tabac, des houes, du mil, de l’habillement et des ustensiles.

Depuis les années soixante et de plus en plus, tout cela est remplacé par de l’argent et de l’habillement, soit une valise de pagnes, 10 pièces au moins, en plus de nouveaux habits comme les chaussures, les chaines de cou, des soutiens-gorge. Une partie des pagnes sera redistribuée à raison d’une pour la belle-mère, une pour la tante maternelle et une autre pièce pour la tante paternelle ; une somme de 10.000 F pour l’oncle maternel en lieu et place du bouc ; 70.000 à 100.000 F pour la mère en lieu et place du gros bouc et des assiettes ; 100.000 à 300.000 F pour le père, comme la partie principale de la dot.[6]

La compensation matrimoniale est variable d’une famille à l’autre et aussi plus élevée dans certains villages, notamment Bidzar et Biou, fortement influencés par le prix exorbitant chez les Moundang voisins.[7]

Voici le tableau de la valeur de la dot, rapportée par un parent interviewé à Biou.

əbasa/ zəga na mingle50.000 F 2 pièces de pagnes plus frais de couture 2 paires de chaussures 2 paires des boucles d’oreilles 1 paire de bracelets 1  pommade cosmétique 3 morceaux de savon (lessive/bain) 1 soutien-gorge 2 sous-vêtements 1 portemonnaie contenant 2000 frs 1  parfum, une c collier etc.Ceci  dépend de la volonté du prétendant qui décide sans contrainte de montrer son amour pour la jeune fille en achetant tout ce qui peut rendre heureuse sa fiancée.
Zəga na afət waŋkə6 à 7 bœufs (vaches et taurillons confondus), 5 à 7 chèvres (mâles et femelles).Si en espèces une vache =75.000 F un taurillon sera évalué à  70.000 F une chèvre = 10.000 F, un bouc castré 15.000 F NB : le nombre femelles doit être supérieur aux mâles. La valeur également parce que le genre féminin peut se reproduire pour le compte de son propriétaire.
Zəga nat mat waŋkə80.0̣00 à  100.000 FPour acheter les ustensiles de cuisine à la fille. Peut dépendre des moyens du mari.
Zəga na gəmsaAvant : une masse de tabac traditionnel d’environ 1 à 2 Kg, une modeste chèvre et une natte. « tappa massaŋ dət hawkə, gəm kukuro ». Actuellement : 15.000 F plus une natte et un pagne.A remettre à l’oncle maternel de la fille le jour de la cérémonie de « əɓele».
Zəga na əɓele ou z əga na gawla nat wankə6 à 8 pièces de pagnes suivant les moyens du mari, 1 sac de mil pour préparer le vin à boire le jour de la cérémonie dite de «əɓele» 1 demi-sac de mil (pour la farine) qui va servir de boules le jour du festin de « əɓele » 2 sacs de sel (1 pour le père et 1 pour la mère) : préparation du festin et partage de chaque côté des parents de la fille 3 chèvres parmi lesquelles un bouc pour le festin et une pour l’oncle maternel 2 paires de chaussures, bref tout ce qui rentre dans l’élégance de la jeune fille, 1 valise pour contenir les vêtements et celle-ci doit être pleine de pagnes et autres.  Pour être destiné principalement à la fille et une partie à partager entre la grande famille (la mère de la fille, les tantes paternelles et maternelles de la fille et éventuellement les voisins, amis et connaissances) pour le cas de sel, cola, repas, vin) et pagne de façon symbolique.

Le prix de la fiancée relève du devoir du père de tout garçon. Même si la mère peut contribuer (notamment en engraissant le bouc du mariage) et les oncles paternels et maternels peuvent aider, il revient à un père la responsabilité de réunir le nécessaire pour le prix de la fiancée de ses fils. C’est pourquoi un père qui a beaucoup plus de garçons est « en problème »[8] alors que, au contraire, un père qui a plus de filles est assuré de se constituer une petite fortune. Parfois, ça s’équilibre ; un père reçoit une compensation matrimoniale pour sa fille et la transfère à une autre famille pour « doter » une femme à son fils.

En effet, comme on le voit de ce tableau rapportant le témoignage de la dot à Biou, l’ensemble des dépenses s’élèvera à 800.000 ou même un million. C’est vrai que la situation n’est pas partout pareille et s’est bien assouplie. Biou est reconnu comme un village où le prix de la dot connaît une véritable inflation. On rapporte cette anecdote d’un habitant de Biou qui s’appelait Mallahi, qui réagissait à la dot qu’un prétendant lui a présenté,  à savoir 300.000 F. « Duwa, aŋ na zəga naddevəd kəkiyəŋ kaŋsa« . Il demandait si la dot représentait d’abord « le prix des tripes de la fille ». Une façon de dire que c’était très peu. Un habitant de Djougui nous disait il y a peu que la dot très élevée, c’est du passé. En effet,  de nos jours, ce qui compte surtout c’est l’argent des assiettes, entre 50.000 et 70.000 F. Après,  si le prétendant est solide financièrement,  il peut donner jusqu’à 100.000 F. Autrement,  certains parents n’insistent même plus. Avoir une femme aujourd’hui,  c’est cadeau,  dit-il.

  1. La phase dite əɓele

Dans la procédure traditionnelle de ədaha, il va s’écouler un an ou deux, avant qu’on ne passe de əbasa à la phase suivante, appelée əɓele.

Pendant cette période, le prétendant va entretenir les champs et la toiture de la case de la future belle-mère ; lors des fêtes annuelles (wuzlra na dəgla, la fête des récoltes et wulzra na gəma, la grande fête), il va offrir de petits cadeaux à la belle-mère. Au cours de la fête de dəgla, le petit tamtam, qui a lieu en octobre, différents types de panier (2 gadavaï, un panier pour les légumes et 2 kəkgəla et 2 kenkele : kəkgəla  estun panier fabriqué à partir de l’Imperata cylindrica, comme doublure du kenkele, fait à partir de branchettes d’un arbuste portant le nom kenkele (Securinega virosa), une clôture (zlava) pour le hangar de la belle-mère. A l’occasion de la fête de guma (ou gəma),  en février de chaque année, le jeune prétendant rendra visite à sa belle-mère avec deux nattes (la natte sera attachée avec tu tissu gabaga, dans le temps, un pagne, aujourd’hui), du fagot de bois (matoffo na way). En retour, le futur gendre sera reçu par sa belle-mère, en compagnie des amis qui l’aident lors des travaux champêtres. Des plats de fête soignés et de la bière de mil leur seront servis.

Durant les fiançailles, le prétendant se doit de rendre visite de façon régulière à sa fiancée, généralement en compagnie d’un ou de deux de ses amis ; ces visites se passent en soirée, mais ça s’arrête à de simples causeries ; c’est d’ailleurs pour éviter des tentations de rapports plus intimes que le prétendant ira toujours, pour ces visites, avec un compagnon.

A une semaine de əɓele, la fille est envoyée chez son futur mari. Elle dormira chez une femme de son beau-père ou, à défaut, chez sa belle-mère, mais, en aucun cas, avec son fiancé. Puis, elle sera ramenée au cours d’une cérémonie où sera exhibée une partie de la dot composée de plusieurs éléments. Des animaux vivants : une pour la mère, un vrai bouc bien engraissé (murgo nat mata), un jeune bouc pour les oncles maternels de la fille (porsok na gəmsa), des chèvres pour le père.  Il y a aussi de l’habillement : des parures, des colliers (everzle məbaya, songoro, zigida), un tikiɗe, un bokkro ou mampaɗak (cache-sexe) et un miroir, considéré il y a quelques décennies, comme un objet de valeur. D’autres objets sont : des ustensiles de cuisine (calebasses, autrefois, assiettes plus tard), un semoir et une houe pour la fille. Et bien entendu, de la nourriture destinée aux noces du mariage au cours desquelles la famille élargie (le clan) de la fille et son clan maternel seront officiellement informées et engagées par ce mariage : de la viande d’un bouc engraissé à cet effet, de la bière du mil. Lorsque le cortège du mariage passe dans le village, de la concession du prétendant pour rejoindre la concession des parents de la mariée, généralement un peu avant la tombée de la nuit, sous les youyous (salalaï) des femmes qui portent les cadeaux de mariage, les curieux épient, souvent en regardant par-dessus la clôture, pour apprécier le nombre de marmites de bière et l’état d’engraissement du bouc. En effet, plus que les têtes de bœufs, le nombre de canaris de bière et l’état d’engraissement des boucs signent la qualité du mariage.

On organise une grande fête pour célébrer ce mariage, fête qui regroupera les membres des clans paternels et maternels de la mariée. C’est cette célébration qui scelle les liens entre la famille de la jeune fille et celle de son futur époux. Et c’est parce que les membres des clans maternel et paternel de la fille ont été associés au mariage qu’ils seront collectivement concernés par ce qui lui arrivera dans son foyer, notamment la fête des jumeaux si elle arrivait à en faire, le décès de ses enfants, de son mari ou sa propre mort. Si une famille envoyait sa fille en mariage sans partager la nourriture et la bière offertes par la belle-famille, les membres des clans maternel et paternel l’abandonneront devant des épreuves nécessitant la solidarité autour de leur fille.

Contrairement à la nourriture et à la bière qu’on partage entre les membres du clan, la partie de la compensation matrimoniale dite arya n’est pas répartie au sein du clan.

Selon le témoignage rapporté de Biou, la période séparant la fixation de la dot et le əɓele est beaucoup plus courte. En effet, dans l’intervalle d’une à deux semaines qui suivent la fixation du  montant de la dot, le parent du garçon doit faire une avance : un ou deux bœufs ou alors un montant d’argent correspondant à la valeur de l’animal initialement fixé d’avance. Suivant les moyens dont dispose le beau parent et une fois que le processus est enclenché, on doit également donner la part de la mère de la fille « zəga nat mata ou zəga nat mat waŋkə » dont le montant peut être variable en fonction de la capacité financière du futur mari.

La dot normalement constituée ne saurait oublier la part qui revient obligatoirement à l’oncle maternel « zəga na gəmsa ». Auparavant, l’oncle maternel (l’aîné  des oncles si leur père est vivant, le suivant si l’aîné est devenu l’héritier et donc occupe en ce moment la position du grand père de la fille) recevait une épaule (papaya na gəmsa) et le tapa massaŋ à la phase əbasa puis un jeune bouc  (porsok na gəmsa) et naturellement la bière de mil à  la phase de əɓele. Mais de nos jours, c’est une somme de 15.000 F, une natte attachée en son milieu par un pagne qui sera  remis à une des tantes maternelles. Effectivement le gəmsa doit être respecté car ce sont les oncles et tantes maternels qui sont les mieux placés pour donner des bénédictions à leurs neveux et nièces et, a contrario, qui peuvent également lancer une malédiction sur ceux-ci.

La phase que nous qualifions ici de əɓele correspond au moment d’organiser le festin à l’attention de la famille de la jeune fille et de lui présenter son paquetage (« Zəga na ədaha » ou « zəga na gawla nat waŋkə »).

Pour le repas des noces, il faut pour apprêter entre autres :

1 sac de milPour préparer la bière.
½ sac de mil à écraser en farinePour faire la pâte (« boule de mil ») le jour festin.
2 sacs de selA partager aux proches de la mère et du père : familles, voisins et amis.
3 chèvres (parmi lesquelles un gros bouc castré)Pour préparer le repas du festin lors de « əɓele» et la part qui revient à l’oncle maternel (« gəmsa ».
6 à 8 pièces de pagnesPour la fille, sa mère et ses tantes maternelles et paternelles.
1 valisePour servir de contenant des pagnes et autres vêtements et cadeaux de la fille.
La farine à la patte d’arachide « kəpa məbaya » (un gâteau consommé en pâte dans de l’eau)A partager aux proches.

Toutes les familles de la belle-famille (frères et sœurs du père de la fille) et les oncles maternels de la fille sont invités à prendre part à la cérémonie de « əɓele ». Les frères et sœurs du père du prétendant ne sont pas exclus de cette rencontre. Ainsi donc, les oncles les plus âgés de chaque groupe vont informer leurs frères et sœurs pour prendre part au festin programmé. Deux groupes sont installés : le groupe des « mbəɗa » (ceux du clan de la fiancée) et le groupe de « gəmsa » (le clan des oncles maternels de la fiancée) auxquels vont se joindre la famille du prétendant pour partager le festin. Deux chèvres vont être abattues et préparées. Seule la chèvre réservée pour l’oncle maternel va être remise vivante à ce dernier, y compris la natte et un pagne qu’une des tantes va prendre. C’est le plus âgé qui prendra la chèvre.

  1. L’envoi de la fille en mariage

Selon les pratiques rapportées à Djougui, après quelques semaines ou quelques mois, le témoin du mariage ou messager (metive) se verra confier la fille pour la conduire chez son mari.

Par contre, le témoignage de Biou rapporte que, après le déroulement de la cérémonie  dite de əɓele qui aura impliqué toutes les trois familles (celles du père du garçon, du père de la fille et de l’oncle maternel de la fille) suivie de la réjouissance et du partage du festin qui se sont bien déroulés, le père du garçon peut envoyer sans hésitation le « Metive » aller demander la fille en mariage. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que la totalité de la dot soit apurée, deux semaines après la cérémonie de əɓele et suivant les moyens dont dispose le père du prétendant, on prépare le vin, on égorge une chèvre dont la totalité de la viande sera envoyée chez la belle-famille; même la peau ne peut rester au domicile, celle-ci servira à emballer la viande de la chèvre. On  ajoute à cette viande tout le nécessaire pour la préparation (farine, huile, sel, gombo etc.).

Très tôt le matin vers 4 heures 30  ou 5 heures ou alors entre 19 heures et 20 heures 30, la bière de mil et la viande de la chèvre sont envoyés au domicile du père de la fille. Le choix de ces horaires n’est pas un fait de hasard, ils permettent d’assurer la discrétion lors du transfert entre la famille du garçon et celle de la fille. Si l’on n’est pas capable d’avoir les biens (bière, chèvres et complément), on peut envoyer le chargé de mission « metive » avec la somme de 10.000 F pour plaider et demander la fille en mariage.

 Après avoir consommé la chèvre et bu la bière en famille (restreinte) cette fois-ci, deux camarades de la jeune fille ou ses petites sœurs et elle-même vont ramener, chez le père du prétendant, les récipients avec lesquels on a apporté les victuailles. Si le père du garçon est téméraire, il peut retenir la fille. Elle ne retourne plus chez ses parents. Il dira à ses camarades ou ses sœurs de rentrer dire au père de la fille : « j’ai confisqué ma belle-fille ». Le mariage peut être ainsi confirmé étant donné que le contrat fixé est achevé ou alors il ne reste plus grand-chose.

Normalement la fiancée revient au domicile de ses parent et après une semaine, le chargé de mission « metive » ira à la rencontre du père de la fille pour la réclamer. « Je suis venu à la recherche de  ma gourde pour puiser de l’eau. Qu’en dites-vous ? » Le père de la fille répondra : « Rentrez, j’ai compris. » Il va alors se concerter avec son épouse au sujet du départ de leur fille en mariage. Une fois le consensus trouvé, il fera appel au chargé de mission à qui on remettra la fille qui sera raccompagnée d’un de ses frères ou d’un cousin pour rejoindre le domicile du père du prétendant. Ceci se déroulera pendant la nuit, entre 20 heures et 21 heures. Une fois à cette destination, le beau-père de la fille va remettre un poulet au frère ou à l’oncle de la fille qui l’aura accompagné, en guise de remerciement. Parfois, le beau-père heureux et satisfait peut même récompenser ces accompagnateurs d’une chèvre, montrant à l’occasion qu’il est économiquement un homme aisé ! La belle mère ou alors sa coépouse reçoit la jeune mariée, se charge de la garder pendant trois jours consécutifs. La jeune mariée dormira avec cette belle-mère qui l’accueille.  Elle ne pourra avoir de contact avec son mari qu’au terme de ce délai. Le jeune époux est tenu de donner à sa femme une poule appelée « gəmdah net tuyeŋge ». On fait tourner cette poule trois fois  autour de la tête de la mariée avant de la relâcher, en espérant qu’elle sera prolifique et constituera l’amorce de la fortune de la jeune mariée. Si la jeune mariée était vierge à son arrivée, sa maman recevra une récompense pour avoir su la garder en l’état.

  1. əteh gəlo

Deux ou trois mois après, une tante maternelle et une vieille femme, voisine à la famille, iront installer officiellement la jeune mariée dans son foyer (əteh gəlo) : elles apporteront des marmites, des calebasses et une chèvre pour « montrer » à la novice comment on cuisine dans son foyer. La chèvre sera conduite en laisse par un jeune garçon, cadet de la jeune mariée ou un enfant d’un voisin. L’installation du foyer proprement dit (en tant que lieu où l’on fait le feu pour cuisiner) sera faite par une femme mariée, de préférence qui n’a jamais changé de mari, histoire de montrer le bon exemple à la nouvelle mariée. La nourriture ainsi préparée sera servie à toute la famille, les amis et les voisins du nouveau couple. En retour, chaque foyer qui aura reçu de ce repas renverra la calebasse pleine de vivres pour accueillir la nouvelle mariée.

D’après les pratiques enregistrées à Biou, quelques semaines après le mariage, c’est plutôt la tante paternelle de la fille (mamdayata) qui va aller implanter un foyer pour sa fille. La jeune mariée ayant quitté la maison familiale sans emporter quelques biens meubles, en attendant d’être autonome, utilisera le foyer et les ustensiles de cuisine de la femme qui l’aura accueillie. Elle acquerra son autonomie à travers la cérémonie d’installation du foyer. A cet effet, la mère de la jeune mariée achète, à l’aide de l’argent reçu dans le cadre de « zəga nat mata », le petit matériel suivant :

  • Un seau pour la conservation de l’eau de consommation ou « tilbi na əŋkile » en poterie
  • Un seau pour le bain du couple, « saou na əslaya »
  • Deux ou trois marmites, « mesteɓe na waya (na mepteke, net teɓi) »
  • Un plateau et assiettes complètes pour servir la nourriture, « tassa na waya »
  • Deux  gobelets pour boire de l’eau (un pour donner de l’eau au mari et l’autre pour tout usage)
  • Deux bâtons destinés à tourner la boule et la sauce, « məsbəka na mepteke, net teɓi »
  • Une ou deux louches, cuillères à soupe, « maɗiya, moŋgossokə, kiyerɗe »
  • Une cartouche de boites d’allumettes et un peu de sel, du gombo, etc.

La tante de la fille accompagnée de ses sœurs ou coépouses ira au domicile du père du couple marié après les avoir tenu informés de l’arrivée des ustensiles de cuisine « zəga na əsləna». A cette occasion, le père du garçon égorge une chèvre pour ce rituel.

Trois pierres vont être disposées pour servir de foyer, puis recouvertes de terre et dont la surface est rendue lisse. On y prépare la nourriture pour cette petite cérémonie qui précède celle au cours de laquelle la totalité des assiettes, les habits de la mariée et les cadeaux reçus dans le cadre de « əɓele» (zəga na gawla nat waŋkə) seront remis. La jeune femme sera rasée, « əfaɗ ɗuŋgul səkat waŋkə ». «ɗuŋgul » est une sorte de coiffure qui permet de distinguer la jeune fille des femmes mariées. Ce rituel permet de sortir la jeune mariée de son statut de jeune fille pour entrer dans celui d’épouse. Les cheveux rasés, sont soigneusement collectés par la tante de la fille et remis à sa mère. Ces cheveux une fois chez la mère de la fille vont être cachés afin de prévenir les actions des « mauvaises personnes » qui peuvent les utiliser à des fins maléfiques et empêcher la jeune femme d’avoir d’enfants, « zəga na arambat nat waŋkə ».

Après avoir mangé le premier repas préparé sur le nouveau foyer, la jeune femme sera aspergée d’eau après que l’on ait fini de manger et de laver les mains en prononçant la formule suivante : « zaiye, zaiye ! aɗiy daway ! », ce qui signifie : « demeure dans la paix dans ton foyer et prends grossesse. »  Ces gestes et propos commencent d’abord par les petits enfants, les frères et sœurs du mari et tous ceux et celles qui sont  intéressés. La tante, représentante de la mère  reçoit une somme de 2.000 F et rentre le jour même de l’implantation du foyer, en compagnie de toute la délégation. Elles y laissent dormir une chargée de mission, qui ne rentrera que le lendemain, afin que la jeune femme mariée puisse bénéficier des derniers conseils, surtout lorsque surviendront les premières menstruations après le mariage chez le mari. C’est l’occasion pour la jeune femme de s’enfuir et regagner la maison parentale pour prouver qu’elle n’est pas allée en mariage étant enceinte. Au terme d’une période menstruelle, elle rejoindra son foyer et ne reviendra chez ses parents que pour son premier accouchement pour apprendre à s’occuper du nouveau-né. 

  1. əka zəga nat waŋkə, zəga na ədaha  (installer définitivement la fille dans son foyer)

Quelques semaines ou quelques mois après l’envoi de la fille en mariage, les assiettes achetées avec une partie de la dot  appelé « zəga nat mat waŋkə » et toutes les pièces de pagnes et autres dons reçus sous forme de cadeaux provenant de la famille au sens large seront acheminés au domicile du mari de la jeune  femme. Le chargé de mission va informer les deux familles qui vont préparer l’évènement. Les oncles maternels, « gəmsa » et les oncles paternels, « əlfa », reçoivent l’invitation pour prendre part à la grande cérémonie d’installation définitive de la jeune mariée dans son ménage.

Les deux parents (père du garçon et père de la fille) préparent le bilibil (bia) et la mère de la fille va égorger le bouc reçu ou en acheter un pour le grand festin plus une autre chèvre pour cette cérémonie.

A titre symbolique, le jour du festin, la mère de la fille prendra une pièce de pagne, les tantes maternelles et paternelles les plus âgées vont recevoir, chacune, un pagne. Les sœurs de la jeune mariée auront également des pagnes, en fonction de la quantité disponible. Il faut relever que la plus grande partie des pagnes et assiettes reviennent à la femme mariée. Ainsi  donc installée, la jeune femme  intègre la classe des femmes et on espère de voir, au bout de quelques mois, une grossesse évoluer en elle. Le premier accouchement doit se produire de préférence chez ses parents et dans le cas contraire, la mère est tenue d’aller séjourner chez le beau fils à l’effet d’apprendre à la primipare comment prendre soins de l’enfant. Trois à quatre mois après avoir accouché, le mari de la jeune femme doit donner une chèvre qui sera égorgée et dont la peau tanée servira de layette et 10 tasses de mil (farine pour préparer la bouillie) afin que la jeune mère produise assez de lait pour le nourrisson. Cette période relative à la maternité et d’apprentissage se fait auprès de la mère de la jeune femme. La jeune mère se verra gratifiée d’une pièce de pagne, par son époux.

  1. Relations de la jeune mariée avec sa famille d’origine

La jeune femme attendra d’avoir son premier enfant avant de revenir rendre visite à ses parents. Elle passera alors, avec son bébé, trois ou quatre mois dans la maison familiale, avant d’être raccompagnée chez elle, avec de la viande de chèvre, par un de ses petits frères. A son tour ce dernier rentrera avec un bœuf, faisant toujours partie de la dot et une lance (pokoro na kəriya). Cette phase rend le mariage définitif. Il faut noter que si la femme n’est toujours pas enceinte après un an de mariage, elle reviendra tout de même chez ses parents, mais cette fois pour recevoir un traitement qui l’aiderait à procréer.

Mais la dot ne finit jamais, dit-on. Des beaux-parents véreux peuvent continuer à réclamer plus de dot, même quand la femme a passé plusieurs années en mariage. Et même, dans la pire des cas, si une femme décède en mariage, ses parents réclameront un bœuf à son mari de veuf, forme de dot appelée əfaɗ bəbər na kiyta. Ces cas exceptionnels se produisent lorsque le mari est irrespectueux vis-à-vis de la belle famille, s’il n’avait pas fini de payer la dot qui lui avait été réclamée ou encore s’il maltraitait sa femme de son vivant.

  • əgəm gulku[9]. Le détournement d’une fiancée d’autrui ou d’une femme mariée.

« Le deuxième type de mariage, autrefois plus répandu que le premier, consiste à « arracher » la femme déjà en mariage ou promise à un prétendant. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un acte de force. C’est certainement la manière par laquelle les Ɗiy na Kaɗa ont résolu le problème du divorce. En effet, il n’existe pas d’instance auprès de laquelle des époux se présentent pour résoudre des conflits familiaux et déboucher éventuellement sur un divorce. Lorsqu’une femme ne se sent pas à l’aise au sein de son foyer, elle peut quitter son époux pour se marier à un autre. Il existe des règles qui régissent ce type de « divorce-remariage »[10]. Dans la société kaɗa, il est admis qu’un homme puisse courtiser une femme, même mariée, pourvu que cela se fasse dans certaines conditions. Les rencontres s’organisent à l’occasion de visites qu’une femme rend à ses parents, loin de la surveillance des membres de la famille de son mari. Ces rencontres peuvent également s’effectuer dans toute circonstance où la femme est sûre de ne pas être épiée par son mari ou des membres de sa famille : les marchés, les fêtes, les cérémonies diverses. Ce sont donc des relations clandestines qui peuvent aboutir à la fuite de la femme vers le nouveau courtisan ou rester stériles. Une femme qui va chez ses parents pour quelques jours sera toujours courtisée par d’autres personnes. Cela pourra se faire avec la complicité tacite ou active de ses parents, si ceux-ci ne sont pas satisfaits des traitements de leur gendre[11] ou en cachette si la femme est consciente des bonnes relations entre son mari et ses parents. Elle peut accepter les avances des courtisans ou les rejeter. Elle peut même accepter par courtoisie, sans aucune intention de quitter son mari ou de manière intéressée, lorsqu’elle veut tenter une autre aventure. Lorsque les fréquentations aboutissent à la fuite d’une femme avec un autre homme, le mari légitime va tenter de la récupérer en portant plainte auprès des autorités (chef de village, chef de quartier) du village du nouveau concurrent dès qu’il l’aura découvert. En général, la femme lui sera remise. S’il s’agissait d’une simple fugue, cela peut s’arrêter là. Mais cet épisode peut marquer l’intention véritable de la femme d’opérer un divorce. Dans ce cas, elle repartira chez le nouveau courtisan, à la moindre occasion où le mari manquera de vigilance. Ces fuites peuvent se répéter une ou plusieurs fois, jusqu’au moment où le mari légitime se lassera et consentira à accepter le fait accompli. Dans ce cas, il lui restera à entreprendre des démarches pour récupérer sa dot. » (A. Douffissa. Les noms chez les Ɗiy na Kaɗa, p. 158-159).

Pour la jeune fille, c’est souvent la manifestation de son désaccord avec le mariage arrangé par les parents. Si elle n’aime pas le fiancé qui lui a été imposé ou a changé d’avis, elle le manifestera en partant en cachette avec un autre garçon ou un autre homme déjà marié. La jeune fille ainsi détournée sera cachée chez les parents même du garçon, ou chez un de ses oncles maternels ou encore chez un de ses amis. Parfois, nuitamment, ce couple de fortune s’enfuit dans un autre village[12], le temps de rendre publique la nouvelle. En effet, la nouvelle ne sera annoncée aux parents de la fille qu’une semaine après cette fuite ou après plus de jours. Evidemment, si les parents ne sont pas complices de ce dandy, ils vont réclamer qu’elle soit immédiatement ramenée. Et, même s’ils étaient complices, pour sauver la face, ils exigeront qu’elle leur soit rendue. Aussitôt revenue chez ses parents, en général, elle est envoyée en mariage chez son fiancé attitré. La suite dépendra de son intention réelle et des conditions qu’elle trouvera chez son mari. Elle pourra rester tranquille et être une femme fidèle. Mais si elle ne veut pas du tout de ce mari, elle repartira chez le garçon de son choix ou même chez un autre et autant de fois que nécessaire, jusqu’à ce que son refus soit validé. Alors, le nouveau mari remboursera la dot du prétendant déçu.

L’administration, depuis l’époque coloniale, a été très vite confrontée à ce problème d’enlèvement de femmes en pays guidar. Avant même d’instaurer un tribunal à Guider, dans leurs tournées, les administrateurs devaient, très souvent, régler ces problèmes récurrents. Ainsi, dans son rapport de tournée de juin 1938, le chef de Subdivision de Guider rapporte qu’il a passé les soirées du 15 et du 16 (juin) à régler les palabres de mariage, qui envenimaient les relations entre les lamidats de Mayo Loué, au Cameroun et de Binder, au Tchad. Voici, à ce sujet, un extrait de son rapport :

« Profitant de la proximité de la frontière, les Kirdis Guidder et les Moundangs avaient trouvé plus avantageux pour se marier, de prendre les femmes désirées et de passer de l’autre côté pour ne pas payer la dot, contrairement à la coutume. 22 palabres étaient réglées. Il faut rechercher la cause de ces nombreux mariages irréguliers dans le prix très élevé des dots : le Moundang paie très cher pour se marier et le kirdi Guidder de la frontière pour maintenir les femmes chez lui est obligé de suivre les mêmes coutumes ». Pour illustrer son analyse, il relève, dans les palabres réglées, trois cas de dots élevées, à Bidzar : premier cas, 3 vaches, 25 moutons[13], 15 dabas, 10 francs de sel ; deuxième cas, 18 moutons, 17 dabas, 23 paniers d’arachides ; troisième cas, 3 bœufs, 12 moutons, 14 dabas.

Certains de ces mariages « irréguliers » sont encouragés par des parents véreux. Le Chef de Subdivision Mazieras cite le cas d’un ressortissant de Djougui qui fait un véritable commerce avec sa sœur.

« Gaorissa de Djougui a offert sa sœur à Dioua du même village ; ce dernier commence à payer 8 moutons, puis Gaorissa, toujours flanqué de sa sœur, va à Bidzar où il fait payer intégralement une dot au nommé Koto, soit : 2 bœufs, 3 moutons et 15 dabas ; enfin, le même Gaorissa et sa sœur passant au Tchad, vont offrir le marché à Haman. Malheureusement pour eux, Gaorissa est arrêté au moment où, voulant s’installer au Tchad, il s’apprêtait à repasser la frontière avec une partie des produits de ces dots. »

70 ans plus tard, on dirait que les habitudes ont la peau dure !

Un article publié par l’ethnologue Chantal Collard en 1979 et dans lequel elle défend l’idée selon laquelle le mariage chez les Guidar serait polygamique et polyandrique, mérite d’être commenté ici [14]. Elle écrit :

« Le mariage guidar n’est pas monogamique mais à la fois polygamique et polyandrique comme il l’est dans la plupart des sociétés dont il est question dans ce numéro. »

Plus loin, elle précise :

« Une analyse du processus matrimonial qui s’arrêterait à la fin des tractations et des rituels de mariage serait chez les Guidars tout à fait insuffisante, non seulement parce que tout mariage est menacé d’une rupture, mais parce que le fait même d’être marié ne garantit pas à un homme d’avoir une épouse chez lui ; ceci est une conséquence de la surcirculation des femmes (chaque femme, bien que rien ne l’y oblige, ayant en moyenne 3 à 4 maris) et de la polyandrie féminine qui est chez les Guidars non successive même si en raison de la règle de résidence patri-virilocale, elle est toujours virtuelle (ce qui explique qu’elle ait échappé à beaucoup). »

« Le mariage ougouma traditionnel n’impliquait donc ni divorce, ni veuvage ; il s’agit d’un mariage secondaire tel que défini par J. C. Muller, l’union d’une épouse avec un autre homme que son mari qui ne suit ni ne précède un divorce. En ce sens, les femmes étaient donc tout autant polyandres que les hommes pouvaient être polygames. »

A la page 53, elle ajoute :

« A tous ces interdits s’ajoutent les dangers de la relation de co-époux unis malgré eux dans une relation d’homosexualité latente par le choix d’une femme, et qui doivent s’éviter mutuellement. Si un homme tombe malade et qu’il reçoive la visite de son co-époux, on pense qu’il en mourra

Sur cette notion de polyandrie, je pense qu’il s’agit là d’une erreur d’interprétation. Joël Tizi a déjà relevé dans son blog[15] que la deuxième forme de mariage chez les Guidar (« əgəm gulku », lorsqu’on parle d’un homme qui prend une femme de cette manière ou « əgəm zile », lorsqu’on parle d’une femme qui est partie avec un autre homme et non « ougouma » comme l’écrit C. Collard) n’est pas de la polyandrie, notion inexistante dans la société guidar. En effet, selon Wikipedia « La polyandrie (polygamie féminine) désigne, chez l’humain, le système dans lequel une femme est mariée simultanément à plusieurs époux » (mot simultanément souligné par A.D.).

Joël Tizi précise à juste titre :

« Toute relation hors mariage est adultère (əkuw a gisbe). Un homme surpris avec la femme d’autrui en flagrant délit d’adultère est poursuivi par les membres de la famille munis de bâtons et sagaies (ərɓa ɗəf səkat gulku). La polyandrie implique l’union légitime d’une femme avec plusieurs hommes, et qu’elle soit acceptée par la société. Or, chez les Guidar, une femme ne peut avoir, simultanément, plusieurs maris avec lesquels elle entretiendrait à tour de rôle des relations intimes comme le ferait un homme polygame. Dès le remariage conformément aux conditions coutumières, l’ancienne union est rompue. Si la femme revient à son ancien mari, il s’agit d’un remariage, sa dot étant remboursée, il est tenu de rembourser ce qu’avait payé le 2ème mari divorcé à titre de dot.

A titre comparatif, dans le système dit de droit écrit de l’Occident, une femme mariée peut faire le tour des hommes du monde, tant que la décision de divorce n’est pas prononcée par le juge, ces derniers ne sont que des amants et le mari demeure l’unique époux. Il en est de même chez le Guidar, tant que le divorce n’est pas effectif conformément à la coutume matrimoniale telle que sus-évoquée, le conjoint légitime est l’unique mari. »

Le départ d’une femme vers un autre homme (« əgəm zile ») est clairement une démarche de divorce de la part de la femme. En règle générale, la femme qui quitte son mari pour un autre le fait parce que dans les relations conflictuelles avec son mari, elle a atteint un point où elle n’a plus d’autre solution pour se faire entendre. Evidemment, si à la suite d’un premier départ, le mari la ramène (après les démarches d’usage auprès des juridictions compétentes) et qu’il lui montre qu’il a compris le message, et/ou le nouveau dandy n’est peut-être pas le prince charmant dont elle rêvait, l’aventure aura servi d’avertissement et s’arrêtera là. Mais si le départ est véritablement une volonté de rompre définitivement avec son mari, elle repartira autant qu’il le faudra jusqu’à ce que son mari renonce à la garder comme épouse et réclame sa dot. Dans ce cas, il s’agit effectivement d’un divorce. C’est la seule manière pour une femme d’obtenir le divorce car il n’y a pas d’instance (devant les juridictions ou devant ses parents) où elle peut faire valoir ce droit.

La relation entre un mari légitime (« zilit aŋ dəkayta ») et un homme qui lui a « volé » sa femme (« grata ») est une relation d’hostilité ou d’inimitié. Ils sont ennemis, « massa » en guidar. Par conséquent, il ne viendrait pas à l’esprit d’une personne qui a enlevé la femme d’un autre d’aller dans la concession de ce dernier, à moins qu’il ne se soit égaré par étourdissement. Il s’exposerait à une punition dont il se souviendrait toujours : « əgay na massa » (la bagarre entre deux ennemis à cause d’une femme « volée »). D’ailleurs, le « massa » ne concerne pas que les deux individus brouillés à cause d’une femme ; cette hostilité engage les familles des deux hommes et même, au-delà, leurs clans respectifs. C’est pourquoi, à la moindre occasion favorable, un membre de la famille de l’homme floué peut s’attaquer à leur ennemi ou même à un de ses proches. C’est ainsi que se déclenchent souvent les rixes lors de la fête des jumeaux.

Chantal Collard elle-même mentionne d’ailleurs cette relation d’hostilité à plusieurs reprises.

« Nos vieux informateurs ont tous pu exhiber fièrement de très belles cicatrices  (qui le crâne enfoncé, qui le tibia couturé à plusieurs endroits) à l’appui de leurs récits qu’ils ponctuaient de grands éclats de rire. »

Collard écrit encore :

« Dans le cas où les vols d’épouses étaient perpétrés individuellement, l’époux lésé pouvait essayer de récupérer son épouse par les armes en entraînant les membres de son lignage ou, s’il le pouvait, la samari. »

Pour éviter les conflits avec le mari légitime, un homme qui enlève une femme peut quitter le village. Chantal Collard aussi signale que les « voleurs » de femmes fuyaient jusqu’au Tchad pour se cacher.

  • Le levirat

Un troisième type de mariage chez les Guidar est le levirat.

Dans la plaquette sur Djougui[16] nous avons décrit le levirat en ces termes :

« Les épouses choisiront de se remarier, dans le cadre du lévirat, avec un membre de la famille du défunt dans des conditions bien définies. Il faut que le prétendant soit, dans l’ordre de préférence, ou bien fils du défunt et dans ce cas il peut prétendre épouser toute femme plus jeune que lui ou, à tout le moins qui ne soit pas de l’âge de sa maman ; ou bien frère cadet au défunt, cousin ou un membre du clan le plus proche possible et moins âgé que le défunt. Les négociations auront généralement eu lieu bien avant le jour du conseil familial. Dans ce cadre, une veuve peut refuser de se remarier dans la famille de son mari défunt ;  c’est souvent le cas pour des vieilles femmes qui décident de retourner dans leur famille d’origine ou de vivre avec un de leurs enfants. Les membres de la famille du défunt peuvent aussi se désintéresser d’une femme jugée mauvaise épouse et la libérer de tout engagement. Dans tous les cas, la décision se prend en conseil. Chaque femme, accompagnée par ses parents, dispose d’une calebasse de bière qu’elle doit remettre à celui qu’elle aura choisi comme nouveau mari ou à ses parents, si elle veut rejoindre sa famille. La personne à qui la bière de mil est tendue marque son accord en acceptant la calebasse. Les parents de la femme peuvent alors intervenir pour la persuader par exemple d’accepter le lévirat, si elle leur remet la calebasse. Ensuite, les enfants seront, soit gardés par le successeur, s’il se sent capable de s’en occuper, soit dispatchés entre les frères du défunt, soit ils suivront leur mère dans le nouveau foyer qu’elle aura choisi. …

Quand les funérailles seront terminées, la veuve rentrera d’abord chez ses parents (əsgaŋ mikke). Le nouveau mari ira la chercher, en offrant une chèvre (haãw na matoffo) ».

L’objectif du levirat est double : la protection des orphelins et la protection de la veuve. La grande famille, c’est la sécurité sociale. Chez les Guidar, société patrilinéaire, l’enfant appartient au père et à sa famille paternelle. Par conséquent, si le père meurt, les héritiers s’occuperont des enfants. Et si la veuve fait le choix de ne pas rester dans la famille de son mari défunt, alors, elle accepte de se séparer de ses enfants. Choix souvent très difficile, notamment lorsque les enfants sont en bas âge. Subsidiairement, le levirat permet à un héritier d’avoir une épouse de plus. Je me souviens que lorsque notre papa décéda, lors du conseil de famille, notre aîné avait dit qu’il souhaitait garder la famille unie, soit donc les six enfants mineurs et les deux veuves, dont une vieille et une jeune femme. La vieille maman avait eu le choix de rester dans la concession paternelle, même ayant dépassé l’âge d’être épouse de notre frère aîné. Elle préféra aller rester avec ses frères. Quant à la jeune femme, elle devint, par le levirat, la deuxième épouse de notre frère qui, pour la première fois eu la possibilité d’avoir des enfants. Elle lui donna trois garçons.

Le levirat n’est pas une pratique honteuse, même si elle peut paraître anachronique aux yeux des jeunes générations. C’est une question de culture. Et en matière de culture, je suis d’accord avec Marcel Rioux lorsqu’il écrit :

« Chaque culture doit être jugée en elle-même parce que ce sont ses prémisses qui déterminent la façon dont les individus qui en font partie appréhendent leur milieu physique et social. La conclusion que les relativistes tirent de leurs analyses empiriques des sociétés, c’est que tout ensemble de coutumes et d’institutions envisagé comme façon de vivre est aussi valable qu’un autre[17]

La société guidar pratique le levirat. Mais nos voisins Fulbe ont adopté le sororat[18]. Lorsque j’étais jeune fonctionnaire, je me rappelle qu’un collaborateur, après avoir perdu son épouse, s’est vu « offrir » en mariage par ses beaux-parents, la sœur cadette de la défunte qui éleva ses neveux et nièces en même temps que ses enfants utérins, avec la même attention. Cela ne choque personne. Pourquoi le levirat déshonorerait-il ceux qui le pratiquent ?

  • Mariage forcé suite à une grossesse non désirée d’une jeune fille (əɗiy zil na gardama, əɗiy zil na gagay)

Lorsqu’une grossesse non désirée intervient au domicile familial, les parents peuvent obliger leur fille à rejoindre l’auteur de cette grossesse. Elle doit révéler l’auteur de la grossesse non désirée et après une cérémonie rituelle de purification, rejoindre le garçon auteur et devenir ainsi son épouse. Autrefois, quand toutes les concessions étaient bien clôturées, la fille qu’on « chasse » ainsi chez un garçon auteur de sa grossesse, est sortie à travers la clôture et non par l’entrée normale de la concession (igilgət kəlamba zlava). Celui-ci ne pourra payer la compensation matrimoniale qu’après accouchement. Si l’auteur de la grossesse est le finacé légitime, il complètera le prix de la finacée qu’il avait déjà partiellement payé. Si c’est un autre dandy, alors ce dernier remboursera ce que le fiancé avait déjà payé et complètera par une partie à payer aux parents de la fille.

Dans les temps très anciens, la mère du nouveau né éliminait le bébé à sa naissance, si elle était incapable de reconnaître son père, car les bâtards (səlom) n’étaient pas acceptés au sein de la société.

  • Les relations entre un garçon et sa belle-famille

Nous avons dit que durant toute la période que vont durer les fiançailles, le prétendant va manifester une attention particulière à la belle-mère, caractérisée par des travaux champêtres, l’entretien de la toiture et des portes de la sa case, le bois de chauffe et des paniers.

Un autre aspect important des relations entre le prétendant et ses futurs beaux-parents est caractérisé par un profond respect pour les parents directs, mais également pour les oncles et les tantes de la fiancée. Vis-à-vis des beaux-parents directs, il y a des règles à respecter. Cela devient encore impératif lorsque le prétendant devient effectivement un gendre.

  • Le prétendant ou le gendre doit respect, en tout temps, à l’égard de la belle famille
  • Il n’entrera pas dans la concession de ses beaux-parents avec les pieds chaussés
  • Il ne s’assiéra pas sur un banc ou une chaise dans la concession de ses beaux-parents
  • Il ne doit pas trouver l’un de ses beaux-parents en position couchée
  • Il doit éviter de trouver sa belle-mère en train de manger et ne mangera pas avec son beau-père et non plus sa belle-mère
  • Il doit aider la belle famille dans tous les travaux champêtres ou non
  • Il ne doit en aucun cas péter (rejet du gaz carbonique) en présence de la belle mère
  • Il ne doit pas s’asseoir sur un même  siège avec son beau-père ou sa belle-mère
  • Il doit assistance à la belle famille dans la joie ou le malheur (jumeaux, deuils, funérailles etc.).

C’est pour tout cela qu’il se signalera toujours en demandant à haute voix, dès l’entrée de la concession, la permission d’entrer. Dès qu’ils reconnaissent sa voix, les beaux-parents prennent alors des dispositions pour ne pas l’indisposer, avant de lui dire d’entrer.

La jeune épouse doit respecter les règles de conduite suivantes :

  • La jeune femme ne doit pas entrer dans la case de son beau-père
  • Elle ne doit pas partager un siège avec son beau-père ou sa belle-mère (un même banc par exemple)
  • La jeune femme ne doit en aucun cas accepter d’être courtisée par quiconque en présence de tout membre de la famille de son mari
  • La jeune femme s’attellera à être serviable à l’égard sa belle-famille (père et mère) du mari.

En retour, les beaux-parents, en particulier la belle-mère, adopteront un certain nombre d’attitudes à l’égard de leur beau-fils.

  • Respecter le beau fils et sa famille
  • Considérer le beau-fils comme un fils
  • Eviter de demander de prêts à son beau-fils
  • La belle mère ne doit pas manger en présence de son beau-fils
  • Elle ne doit pas se laver, ni se soulager à un endroit où le beau-fils peut l’apercevoir.
  • Evolutions de ces dernières années.

Les formes de mariage n’ont pas beaucoup évolué en pays guidar. Les deux types de mariage décrits ci-dessus sont toujours d’actualité. Mais les modalités ont bien changé. D’abord, la monétarisation excessive a entrainé une inflation du prix de la mariée. Ce qui affecte la possibilité de jeunes gens à se marier. Ensuite, de moins en moins, les familles associent les membres de leurs clans lorsqu’elles envoient leurs filles en mariage. Par pure cupidité, sous les coups de boutoir de la pauvreté ambiante et enivrées par les nouveaux besoins créés par la soi-disant modernité, elles prennent l’argent de la dot et le consomment seules. C’est donc un pan de la solidarité clanique qui est en train de s’effondrer, avec cette évolution dans le mariage. Un autre élément important est l’âge du mariage de plus en plus tardif, notamment chez les filles qui vont à l’école. Et parallèlement, l’école éloigne les filles et les garçons de leur village d’origine et entraine des mariages hors du groupe ethnique guidar.

Ce n’est pas que sur le plan de la solidarité familiale que cette cachotterie lors de mariage aura une influence. Nous avons dit que lors de əbasa, la famille est réunie pour se prononcer sur la validité des fiançailles et du mariage qui s’en suivra. Cette concertation évitera, entre autres, que des frères et sœurs de même clan se marient. En effet, les Guidar appliquent l’exogamie comme règle matrimoniale. Cela a pour conséquence positive de réduire l’impact des maladies héréditaires. De nos jours, à partir du moment où les enfants se rencontrent sans connaître leurs familles respectives et que celles-ci valident le mariage sans concertation, on ne peut plus contrôler les mariages entre filles et garçons de même clan.

Deux autres évolutions très notables ont affecté le mariage en pays guidar ces dernières années. On constate qu’il y a de plus en plus de femmes célibataires, y compris dans les villages guidar, alors qu’autrefois, seules de veuves très âgées vivaient seules, auprès d’un de leurs enfants ou d’un parent. Ce fait a été accentué par l’autre évolution, à savoir le refus de plus en plus répandu du lévirat. Cela a commencé par les veuves des fonctionnaires qui préfèrent rester seules au lieu de se remarier dans la famille de leur époux défunt ou alors elles choisissent de se remarier hors de celle-ci. Bénéficiant d’une pension de veuvage, elles peuvent vivre de façon autonome[19]. Mais le phénomène a également atteint les villages. En 2008, le Comité de Développement de Djougui a entrepris un recensement qui a montré que, dans ce village de 4300 habitants, 20% des concessions appartenaient à des femmes célibataires, vivant seules ou avec leurs enfants.

Il appartiendra aux spécialistes de différentes disciplines d’étudier les conséquences multiformes de ces évolutions, mais, il est clair que c’est un bouleversement sans précédent dans l’histoire de la société guidar. Il serait également important de faire ressortir l’influence des religions importées en pays guidar sur le mariage. Si l’islam permet la polygamie, elle limite le nombre de femmes à 4, tandis que le christianisme interdit tout simplement le type mariage polygamique. C’est un autre changement important dans le mariage chez les Guidar où le nombre élevé de femmes était une marque du rang social haut placé du polygame. Enfin, faudrait-il signaler que, chez les Guidar, le statut de marié n’était pas sanctionné par un acte de mariage établi par un officier d’état civil de même que les naissances n’étaient pas enregistrées sur un document. L’introduction et l’imbrication de du droit romano-civiliste (et même du Common law, s’agissant du Cameroun), du droit religieux (notamment le droit musulman) avec le droit coutumier guidar ne sont donc pas sans incidence sur l’évolution de notre société.

Si on peut s’inquiéter du fait que les fondements des liens matrimoniaux soient ébranlés par toutes ces évolutions, on doit, a contrario, se féliciter d’une certaine stabilité dans les foyers d’aujourd’hui. En effet, en ville notamment, il est rare qu’une femme soit enlevée de chez son mari par un autre homme : əgəm zile est de plus en plus rare. Si une femme se sent à l’aise dans son foyer, elle aura moins tendance à aller voir ailleurs. En plus, le mariage civil complique le əgəm zile.

Cet  exposé sur le mariage devrait servir de base pour des réflexions sur différents aspects de la famille et de la société guidar. Ne pas réfléchir à tous ces problèmes et laisser la société voguer comme un bateau ivre sur des eaux en pleine tempête risque d’être fatal à notre société.


[1] Douffissa, A. Les noms chez les Ɗiy na Kaɗa. Identité, histoire et philosophie d’un peuple. Editions SAAGRAPH, Yaoundé, 2004.

[2] Dans ce texte, nous emploierons le mot « dot » dans son acception au Cameroun, même si celle-ci est en réalité erronée. En anthropologie, la dot est un don fait par la famille de l’épouse au ménage, c’est-à-dire des biens que le père de l’épouse apporte au patrimoine du nouveau ménage lors du mariage. Il y a un autre concept, le douaire, qui est une portion de biens que le mari offre à son épouse. Au Cameroun, et chez les Guidar en particulier, ce que nous appelons généralement dot est ce que les anthropologues nomment prix de la fiancée. D’après Alain Testart et al (Les prestations matrimoniales – http://lhomme.revues.org/146), le prix de la fiancée (ou compensation matrimoniale, en anglais bride price ou bridewealth) est tout transfert 1) de biens relativement standardisés, dont la nature et la quantité sont généralement déterminées par la coutume, 2) fournis normalement par le futur mari, 3) et destinés aux parents de l’épouse, c’est-à-dire des biens apportés par la famille du mari à celle de son épouse. Dans sa thèse sur l’organisation sociale des Guidar, soutenue en 1977 à l’Université de Paris X, l’anthropologue Chantal Collard utilise effectivement l’expression « compensation matrimoniale ».

[3] Il faut noter que les Guidar n’utilisent pas l’expression « demander la main » d’une fille. Ils disent « ərma təlta » qu’on traduira par « arrêter le pied de la fille » ou  « əttok mbəɗa » qu’on peut traduire par « demander à être une belle-famille ».

[4] Cette viande de chèvre sera partagée de la manière suivante : une épaule pour l’oncle maternel (papaya na gəmsa) et un gigot pour l’oncle paternel.

[5] Il faut savoir que le mot arya, qui désigne la richesse, ou dans ce contexte les bœufs offerts en guise de dot ou la dot elle-même tout simplement, désigne aussi les bovins ou la richesse.

[6] Dans sa Thèse op citée, Chantal Collard rapporte que : « Les montants de versements pour oubélé pouvait aller en 1971 jusqu’à 45 000 CFA, soit :

  • 2 boucs, dont l’un au moins est dépouillé
  • 1 chevrette
  • 2 à 3 sacs de sel
  • 1 sac de mil
  • 1 calebasse de farine de mil blanc
  • 20 à 30 bourmas de bière de mil
  • 2 à 3 boules de tabac
  • 3 bouteilles d’huile d’arachide
  • 2 nattes
  • 3 barres de savon
  • 4 savons de toilette
  • 20 houes.

…. La fiancée reçoit en outre pour oubélé

  • 12 pagnes
  • 3 paires de chaussures
  • 1 jupe
  • 1 robe
  • 3 foulards
  • 2 slips
  • 1 collier
  • 1 bracelet
  • 2 paires de boucle d’oreilles
  • 1 cache-sexe avant
  • 1 cache-sexe arrière
  • 1 serviette de toilette
  • 1 caisse de bois
  • 1 porte-monnaie ».

[7] Toumbaya Tiyé évoque le nombre de 10 bovins à Biou.

[8] On entend souvent des gens se plaindre qu’ils sont ruinés par le mariage de leurs fils. Certains font le malheureux en prétextant qu’ils sont en train de payer le prix de la fiancée pour leur fils ou pour eux-mêmes d’ailleurs : « in tat ədah ana wisne da nak ɓasa

[9] əgəm gulku peut se traduire littéralement par « prendre une femme ». Mais réciproquement, lorsqu’on parle du départ de la femme dans ce cadre, on dira « əgəm zile » pour dire « prendre un mari ».

[10] On a souvent utilisé de façon abusive le terme rapt pour désigner ce type de mariage. En fait, il ne s’agit pas d’un rapt qui est le fait de s’emparer illégalement de quelqu’un, de l’enlever ou de le kidnapper. Le rapt se fait de force, sans le consentement de la victime. Or, le mariage dont nous parlons ici se fait avec le consentement de la femme. C’est le mari qui est victime, non la femme. En outre, au regard de la législation guidar en la matière, c’est admis, même si le mari dépossédé de sa femme ne l’entendra pas de la même oreille.

[11] Lorsque les parents ne sont pas satisfaits de leur beau-fils et veulent « offrir » leur fille à un autre candidat, ils peuvent profiter d’une occasion où la fille leur rend visite dans le cadre d’une cérémonie de bénédiction de ses grands-parents défunts (əzaɓ tuya) pour la confisquer jusqu’à ce qu’elle trouve un autre mari ou que son mari se décide à améliorer la compensation matrimoniale. Les parents peuvent même prétexter convoquer leur fille pour une cérémonie de əzaɓ tuya, aux fins de faire pression sur leur gendre et lui imposer de payer plus de prix de la fiancée ou de s’acquitter du solde dû.

[12] Dans les années 1950-60, lorsque quelqu’un s’enfuyait avec une femme « volée » des villages guidar vers le Tchad ou plus loin que Guider, en direction de Garoua, il était difficile d’aller la récupérer. Ainsi, quand quelqu’un partait de Djougui à Lombel, petit village non loin de Golombé, c’était comme si, de nos jours, un enfant partait du Cameroun en Europe. On disait : « ankiy gogosa ; ambatək haa Lumɓeli » (« il est parti très loin  jusqu’à Lombel »). Et comme le village dépendait du lamidat de Golombé, l’infortuné mari avait du mal à aller récupérer son épouse en fugue ou, en tout cas se déplumait pour cela.

[13] Il s’agit certainement d’une erreur de traduction. En effet, chez les Guidar, le mouton ne fait pas partie des animaux donnés à la belle-famille dans le cadre de la compensation matrimoniale. Les animaux à l’honneur, si on puit dire, sont les bœufs, la chèvre et les poulets (le poulet toujours sous-forme de plat cuisiné et non offert vivant). Le mouton intervient dans des cérémonies de guérison, notamment lors des rites de purification d’une femme envoûtée par les tuyenge. Il peut être abattu pour l’autoconsommation, mais rarement pour l’accueil d’un étranger. Sa destination principale est la vente.

[14] «  Mariage « à petits pas », mariage « par vol » : pouvoir des hommes, des femmes et des chefs chez les Guidars » publié en 1979 dans Anthropologies et sociétés

[15] TIZI, J. La conception du mariage dans la société guidar – PATRIMOINE GUIDAR http://patrimoineguidar.over-blog.com/2019/11/la-conception-du-mariage-dans-la-societe-guidar.html

[16] DOUFFISSA, A.  et coll. Le village Djougui, 20 ans d’expérience d’un Comité de développement au Nord du Cameroun, janvier 2009

[17] RIOUX, M. Relativisme et jugements de valeur. In La culture comme refus de l’économisme, Anthropologica, no 4, 1957, p. 61-75

[18] Le sororat est la pratique du remariage d’un veuf avec la sœur de son épouse, en particulier lorsque cette dernière laisse des enfants en bas âge.

Le lévirat est un type particulier de mariage où le frère d’un défunt épouse la veuve de son frère, afin de poursuivre la lignée de son frère. Les enfants issus de ce remariage ont le même statut que les enfants du premier mari. Les sociétés grecque, romaine ou égyptienne antiques pratiquaient aussi le lévirat (Wikipédia).

[19] La pension de veuvage des conjointes des salariés du public ou du privé est une nouvelle source de conflits dans les familles. Dans certaines familles, les veuves, même légalement mariées, se voient contester le droit de jouir de cette pension. D’autres veuves s’accaparent de tout l’héritage de leur défunt mari et abandonnent la prise en charge de la famille que ce dernier assumait de son vivant. Il s’agit ici d’un conflit entre la législation de la république et les règles traditionnelles, selon lesquelles une femme n’hérite jamais de son mari, elle-même faisant partie des « biens » à hériter, dans le cadre du lévirat.


[1] Albert Douffissa, Président du Bureau Exécutif de Guma, reprend ici un paragraphe publié dans la plaquette du Comité de développement de Djougui, éditée à l’occasion du 20ème anniversaire de cette association. Il a également bénéficié de la contribution très active de Dawaï Haman de Djougui Gabla, qui a récolté les témoignages de Djaouro Nawissa et de Monglo Gbolol, quelques-uns de rares patriarches, dépositaires de la culture guidar. Je leur exprime ici ma profonde reconnaissance. Moussa Damba a apporté sa caution « d’ancien » à ce texte.

[2] Toumbaya Tiye, Président de la Commission spécialisée Rites et Cérémonies de Guma, a apporté une contribution significative en interrogeant des parents ayant envoyé leurs filles en mariage ou ayant doté une femme pour leurs garçons, dans le village de Biou.

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