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A PROPOS DE L’ARTICLE DE VONDOU TOUMBA SUR LA RELIGION TRADITIONNELLE GUIDAR (PHILOSOPHIE, SPIRITUALITÉ ET RELIGION GUIDAR)

Le 28 octobre 2019, Joël Tizi a publié dans le groupe WhattsApp « Langue guidar, Codification » un lien permettant de télécharger et lire un article écrit par Vondou Toumba Marcel, un Guidar vivant en Belgique[1].

Je voudrais tout d’abord exprimer mon émerveillement devant la mémoire très vive du petit frère qui a fui le pays kaɗa depuis des décennies mais qui se rappelle de menus détails que bon nombre de Guidar même vivant à Guider ou à Figuil ignorent, je dirais de bonne foi. Chapeau bas donc pour ces souvenirs vivaces.

Ceci dit, voici une grande contribution au débat sur la culture guidar, même s’il s’intéresse à un sujet, celui de la foi, qui soulève facilement des passions ne relevant souvent pas du domaine réfléchi. En effet, le diagnostic que nous avons fait lors des débats ayant précédé la création de l’association Guma-Asprocg, la disparition de la religion traditionnelle au profit du christianisme et de l’islam a été identifiée comme un des éléments constitutifs de la disparition de la culture guidar. Dans le Document de travail du 03 mai 2017, nous écrivions ceci :

« Le constat est là : la religion traditionnelle guidar est encore pratiquée à part entière ou concomitamment avec les religions dites du livre, qui ont fait leur intrusion il y a environ un siècle sur le territoire guidar, mais elle a fortement régressé face à ces dernières. Nous ne disposons pas de statistiques sur les pratiquants des différentes religions chez les Guidar. A titre de repère, nous pouvons noter cette estimation rapportée par Odilo Cougil, un missionnaire africain qui a travaillé au Mozambique sur la place des religions traditionnelles en Afrique.

« De nos jours, presque tous disent appartenir à l’une des grandes religions, chrétienne ou musulmane surtout. Les catholiques africains seraient 160 millions (17%), les autres chrétiens environ 170 millions (19%), et les musulmans 360 millions (38%). Les recensements permettent de supposer que 60 millions (5%) adhèrent aux nouveaux mouvements religieux. Il resterait donc 200 millions (21%) d’Africains toujours fidèles aux religions traditionnelles africaines. »

Dans la mesure où les religions traditionnelles africaines réglaient tous les aspects de la vie et de l’organisation sociale, qu’il s’agisse des relations entre les classes d’âge ou les sexes, des relations avec la nature, de perception de la maladie, de l’acceptation de la mort, etc…, la disparition ou l’affaiblissement de ces religions contribue forcément à la disparition de la culture des peuples qui les pratiquaient.

La menace sur la langue et la religion traditionnelle guidar a des conséquences qui vont au-delà du champ culturel. Elle résulte même en une déperdition des membres de l’ethnie, dans ce mouvement que les ethnologues appellent détribalisation, au profit des ethnies voisines comme les Mundang et surtout de l’ethnie peuhl, donnant naissance à la notion de foulbéisation. En effet, depuis le contact des Guidar avec les Peuhl, plus particulièrement depuis l’islamisation d’une fraction importante de notre peuple, certains éléments islamisés ont carrément changé d’ethnie. Ils sont devenus Fulbé, parce que confondant islamisation et assimilation ethnique et culturelle. Ils ont abandonné leur(s) religion(s) d’origine, leurs noms et la pratique de leur langue maternelle, ont adopté des habitudes vestimentaires et alimentaires du groupe auquel ils ont adhéré. Souvent, cela s’est accompagné par la migration du village vers la ville ou vers un village peuplé de musulmans ».

Lorsque Vondou écrit que « L’ardeur du prosélytisme en pays guidar atteignit son apogée à un point tel que l’iconoclastie devint un phénomène de mode : rites guidar devenus sataniques, noms guidar honteux, langue guidar barbare, danses guidar vulgaires, religion guidar diabolique. Apostasier les croyances guidar équivalait à un acte salvateur et une profession de foi du prosélyte dans sa nouvelle religion », il fait le même constat que celui que nous venons de citer. 

Il est clair qu’aujourd’hui, le débat n’est pas de savoir s’il faut abandonner les nouvelles religions pour revenir aux religions traditionnelles. Non ! Nous avons atteint un niveau tel que chacun est libre de suivre une religion de son choix ou de ne même pas avoir de religion. Mais le problème est justement là : il s’agit de dire que toutes les religions, y compris donc nos religions traditionnelles, méritent le respect et non la raillerie ou le mépris, comme nous l’avons vécu ces dernières décennies.

« Fort heureusement, constate Vondou, depuis quelques années, il y a un regain de « conscience de soi » dans l’âme guidar. Les noms guidar décriés naguère refont surface, la langue guidar refait elle aussi timidement surface dans tous les milieux. L’heure est à la préservation du patrimoine guidar ; du moins, de ce qu’il en reste. » 

Vers la fin de son texte, il insiste : « Comme il a été dit dans l’introduction, le Guidar agonisant culturellement semble reprendre des forces. Il sort de sa torpeur aliénante et prend conscience que lui aussi a une langue, des noms propres, une culture, une religion ; qu’il est un homme à part entière ».

En ce sens donc, la contribution de Vondou Toumba Marcel entre en droite ligne de l’effort que nous faisons pour étudier et comprendre nos cultures, afin d’en sauvegarder ou de promouvoir ce qui peut encore l’être.

Cela étant, de nombreuses positions de notre frère sont tout à fait discutables et certainement les personnes bien plus expertes en matière de religion lui apporteront la réplique dans un esprit constructif.

Quant à moi, après avoir apporté des corrections à la graphie des termes en guidar (d’après la police Camsildoulos de Keyman), je me limiterai à quelques remarques du grand profane que je suis.

« Le Guidar croit en l’existence d’un Dieu unique, artisan de toutes choses », écrit Vondou. Tout à fait. L’homme guidar, contrairement à ce que les observateurs non avertis des religions africaines peuvent penser, est monothéiste et croit en un seul Dieu. Vondou lui-même l’a bien dit : à chaque événement malheureux ou heureux, le Guidar invoquera le nom de Maŋgəlva, le Dieu. J’ajouterai quelques autres indices qui confirment bien le caractère monothéiste de la religion ou de la pensée guidar. Le mot Maŋgəlva pour désigner Dieu, ne se met pas au pluriel. Il y a un terme qu’on appelle Maŋgəlveɗi qui ne désigne pas les Dieux mais plutôt une maladie, mais ce n’est pas le pluriel du mot Maŋgəlva pour désigner Dieu. Et quand un Guidar donne à son enfant le nom Maŋgəlvaisa il s’adresse à son ennemi juré en lui disant qu’il n’est pas Dieu, sous-entendu qu’il n’y a que Dieu qui peut décider de son sort.

« La religion Guidar n’a (peut-être) pas de dogme, pas de temples, pas de sacerdoce, pas de liturgie », mais il y a bien des rituels communs à tous les Guidar lorsqu’ils offrent des sacrifices à l’autel familial (a ma tuya). Il y a des lieux où des rites religieux sont exercés à certains moments de l’année comme sur le Mont Voru (Kiyit Voru), lieu du culte conduit par un prêtre Melketin na Arbaba, le Kiyit Guzlungur ou le Mətəwəkəŋ (une forêt sacrée) pour les Mədaɓəra. Chaque année, à la fête de dəgla ou de guma à une heure fixe, les personnes habilitées à exercer certains rites à ces endroits (grottes ou forêts sacrées) y vont, dans certains cas font des libations de bière de mil et y prononcent certaines incantations, y font des observations qu’ils interprèteront pour deviner l’avenir de tout un village. A Zigi, les Məsdəlvingue (les chefs de terre[1]) entrent en conclave pendant plusieurs jours au cours desquels ils consulteront différents devins pour ausculter « l’état du monde ». Et ces lieux sacrés, ces rituels, existent dans tous les vieux villages guidar. Si on considère que la liturgie « désigne l’ensemble des rites, cérémonies et prières dédiés au culte d’une divinité religieuse, tels qu’ils sont définis selon les règles éventuellement codifiées dans les textes sacrés ou la tradition » (selon l’encyclopédie Wikipédia), les rites, cérémonies et prières qu’exécutent les prêtres de la religion traditionnelle guidar dans ces lieux sacrés sont bel et bien de la liturgie. 

Les Guidar n’ont pas les dix commandements des chrétiens, mais ils ont bien leur idée de ce qui attend l’Homme après la mort. Si cela avait été écrit dans un Livre saint, cela aurait valeur de dogme. Ainsi, les Guidar pensent qu’après sa mort, l’homme retrouvera ses parents qui sont déjà dans le village de l’au-delà. Mais, chacun, selon son mérite, gagné par ses œuvres terrestres. Celui qui n’a pas de problème, l’homme qui a mené une vie de bien sur terre, sera immédiatement accepté au village. Il va au paradis. Par contre celui qui n’a pas mené une vie correcte, au regard du péché mortel des Guidar qu’est l’avarice, celui-là ou celle-là, sera rejeté en dehors du village. Et si cette âme en errance, au purgatoire diront les chrétiens, parvient à envoyer des signes de souffrance que les parents vivants sur terre arrivent à capter, ils pourront faire des sacrifices, et notamment tuer un animal et en distribuer la viande pour compenser ce que le mort n’avait pas fait de son vivant, alors elle sera admise. Autrement, le mort sera condamné à ronger ses genoux ou ses coudes indéfiniment. Ronger son genou indéfiniment : avez-vous reconnu l’enfer ? Chez les Guidar, le respect pour les parents est un commandement important. De même, un Guidar qui a causé un crime sera soumis à une purification rituelle pour conjurer la vengeance de l’esprit de la victime contre son assassin. Mais, pourquoi l’avarice est le plus grand péché chez les Guidar ? Probablement parce qu’ils vivaient dans une société autarcique où les membres doivent compter sur la solidarité pour survivre.

L’autel familial n’est pas un temple, mais il ne viendrait à l’esprit de personne, même saoule comme une abeille, d’aller profaner cet autel, par exemple en urinant sur la marmite du ma tuya. C’est un lieu sacré et respecté, où sont exécutées certaines cérémonies, dites certaines prières. Et, à propos des cérémonies exécutées dans le ma tuya, par exemple lorsqu’on égorge le poulet pour le digzim, une partie de la nourriture (constituée du foie braisé, et de la boule de mil enduite du digzim) sera servie sur la ou les marmites représentant les parents disparus du célébrant, mais une autre partie sera lancée en direction du ciel, pour le Maŋgəlva.

En fait, ce qui fait la « faiblesse » de la religion traditionnelle guidar par rapport à celles qui ont été importées et aujourd’hui largement adoptées en pays guidar, c’est que la première n’a pas été écrite dans un livre. Il y a bien des rites, mais n’étant pas codifiés, ils ne sont pas immuables et sacralisés. Il y a bien des commandements et des considérations par rapport au sort de l’homme après sa mort, mais n’étant pas écrits, ils paraissent avoir moins de force que ceux des religions dites du Livre. Mais en fait, il en va de même pour toute la culture guidar, y compris de sa langue : l’absence d’écriture est son talon d’Achille.

Vondou écrit que « Les prêtres guidar sont légion et se spécialisent parfois dans des secteurs d’activités. Il en est qui sont maléfiques (malfaisants) et d’autres bénéfiques (bienfaisants)». Il conclut son texte en ces termes « Nous voici arrivés au terme de cette compilation de faits jugés par nous religieux chez les Guidar ».

Même si nous avons accepté que « les religions traditionnelles africaines réglaient tous les aspects la vie et de l’organisation sociale, qu’il s’agisse des relations entre les classes d’âge ou les sexes, des relations avec la nature, de perception de la maladie, de l’acceptation de la mort, etc… », on ne peut pas mettre tous les aspects qu’il décrits dans son texte comme relevant de la religion au sens strict.

Sans entrer dans des dédales des définitions des mots rites, rituels, cérémonies, en nous guidant de la classification que fait Wikipedia  selon laquelle les occasions rituelles concernent soit la vie collective globale de la communauté, soit des circonstances familiales soit encore la vie spirituelle individuelle, nous pouvons ranger les rites et cérémonies guidar dans les registres suivants. 

  • Célébration de la vie
    • əgilgiŋ muzliya sə giziŋ ; ərbaŋ səŋ pay səŋ muzliya ; əlvaŋ muzliya : baptême
    • əkay gulku (ədaha) (əbasa ; əɓele) : fiançailles
    • əkət waŋk amba zile: mariage proprement dit
    • əgəm gulku: mariage par enlèvement consenti (improprement qualifié de « rapt »)
    • əskil messinɗe (əlma va ; əskilti ; əkpor p əlwiti): toutes les phases allant de l’annonce des naissances de jumeaux jusqu’aux dernières cérémonies
    • əŋdək ɗəfa: enterrement (décrire les différents types en fonction de l’âge, du sexe ou du statut du défunt)
    • əgɗa glabaya: funérailles proprement dites (décrire y compris l’installation de l’héritier, le cas échéant)
  • Célébrations d’événements annuels saisonniers
    • əda zula ; əlhaŋ madambilze: cérémonies organisées avant de consommer des produits de la nouvelle récolte
    • məlha tuya: cérémonie organisée avant lancer la récolte du mil à Djougui
    • hahwi: cérémonie organisée avant lancer la récolte du mil à KongKong
    • əɗiy offo awra (əzla baŋga): feux de brousse rituels
    • məsgəla, derɗew : fête organisée pour célébrer les nouvelles récoltes dans certains villages
    • weyyere: cérémonie ayant deux volets, l’un organisé par les enfants, l’autre par les adultes à la veille de la grande fête du village
    • əssər aggərma: rite célébré par des jeunes filles qui consiste à aller moudre des grains du mil tous les soirs sur des rochers, à une période bien définie de l’année
    • wuzlra na dəgla: fête des récoltes à Djougui[2]
    • wuzlra na guma: grande fête annuelle organisée selon un calendrier donné pour les villages ou groupes de villages guidar.
  • Célébrations religieuses

[1] A Zigi, contrairement à la plupart des villages guidar, il y a plusieurs Məsdəlva (Məsdəlvingue au pluriel). En fait, pour comprendre cette spécificité, il faut remonter à une époque où Zigi n’était pas un village mais plusieurs villages : Koriok, créé et habité par les MəKoriok, Daɓər, créé et habité par les MəDaɓəra, Gabla, créé et habité par les MəGabla, Dəgar habité par les Məsmasa. Puis d’autres clans sont venus et ont constitué de nouveaux quartiers. Les dix quartiers ont alors constitus̈ la fd̈r̈ation de Zigi.

[2] Contrairement à ce qu’a écrit Vondou, la fête de Guma n’est pas la fête des récoltes. C’est Wuzlra na Dəgla qui est la fête de récoltes à Zigi, Məsgəla, Derɗew dans les villages autour de Zlam.

[1] http://patrimoineguidar.over-blog.com/2019/10/religion-traditionnelle-guidar

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